vendredi 8 mai 2015

Céréale Pique-Cerise



Je fis mon entrée dans la vie de manière fracassante : à mon accouchement, mon père, qui était fin observateur, eut tôt fait de remarquer que, par la mèche caramel que j’arborais sur le front, je ne ressemblais ni à ma mère ni à lui, qui avait la tête noire comme l’ébène. En proie aux pires soupçons, il accusa ma mère de l’avoir cocufié avec notre voisin. Celle-ci, riant aux larmes, dit à mon père qu’il était temps, rendu au cinquième enfant, qu’il l’ait enfin remarqué. Elle le félicita de sa perspicacité et mon père, tellement démonté par la décontraction de ma mère, partit à rire lui aussi. Alors, dans la salle d’accouchement, ce fut la rigolade générale : l’obstétricien en blaguant s’enquit du nom qu’on donnerait à cet enfant, né des pérégrinations de ma mère chez le voisin. Mon père suggéra de l’appeler Jésus, car ma mère portait le prénom de Marie et que le Saint-Esprit avait fait son travail. Le curé de l’hôpital, qui ne manquait pas d’humour non plus, proposa d'offrir comme présent pour le nouveau-né une belle grande croix en bois avec un paquet de clous pouvant servir, on ne sait jamais, plus tard.
Mes parents se mirent d'accord pour m'appeler Céréale Pique-Cerise, une allusion à notre voisin Charles Pique-Cerise, mon vrai géniteur, qui ne fit pas objection, car ses enfants légitimes portaient tous les cheveux noirs de mon père. Il fut même présent à mon baptême, car il avait participé à l'événement, d'une certaine façon, disait ma mère en souriant, et il méritait cet honneur. C'était la belle époque où les voisins troquaient leurs couilles pour grossir les familles pendant que le curé de la paroisse veillait personnellement sur les petits gars.
Dès l’âge de cinq ans, on me confia aux bonnes sœurs pour m’apprendre à lire. Celles-ci, voulant sauver leur âme en péril pour s’être trop fait caresser les fesses par leurs confesseurs, me remplirent le cerveau d’idées généreuses : elles me firent croire que l’univers se divisait en deux hémisphères : le premier, réservé aux pourceaux : les curés, les évêques, les cardinaux ; le second, aux gens normaux : les financiers, les violeurs, les voleurs, ceux qui sacrent, qui maudissent les curés et qui jappent contre Dieu. Ces dernières personnes vivent de manière insouciante, car ils sont sûrs que Dieu est sourd comme un pot. Moi, ma grande crainte, c'est que le vieux Christ ne soit moins sourd qu'on pense, et dans ce cas, suivant l'expression de mon père, « on est dans la merde».
Par prudence et par crainte de Dieu, je fis ma première confession à l'âge de sept ans. Le prêtre, qui me reçut en se frottant les cuisses et en bavant d’excitation, me demanda si j’avais entendu parler de l'histoire du bâton de golf et de ses deux petites balles bénites. Je ne connaissais pas ce miracle, tiré sans doute d'une nouvelle version de l'Histoire sainte, et devant mon étonnement, le curé mit sur un tourne-disque de la musique de Joe Dassin qui chantait « Le moustique », et il se mit à fredonner en duo avec lui : « Ne me pique pas, ne me pique pas ! » Il ajouta à mon intention : « Attrape-moi, petit vicieux, attrape-moi ! le premier d'entre nous qui trouve deux petites balles de golf a droit de les manger ! » Ma formation de catholique était encore trop fraîche pour savoir où il voulait en venir ; lui, par contre, le savait très bien… de sorte qu'il les trouva et les mangea ! Et comme dessert, il suça mon bâtonnet lui-même qui glissait comme la Truite de Schubert, et il dit, en bavant et en s'épongeant le front : « Dépêchons-nous, mon petit ! L’église va bientôt se remplir de punaises de sacristie et je dois donner mon spectacle quotidien. »
La Symphonie de Schubert était encore inachevée quand, de retour à la maison, je racontai cet incident à ma mère qui rigola : « En somme, tu as fait la connaissance d'un curé tout à fait normal ! Le bâton de golf, c'est le bâton de vieillesse des prêtres ; ils le recherchent partout, et à cause de cette obsession, ils ont tous un petit penchant pour la Truite de Schubert. Tôt ou tard, au cours de leur ministère, cette musique résonne dans leur cœur sans sève et gare les petits garçons ! »« Mais, maman, dis-je en pleurant, le curé m'a refusé l’absolution. »  « Foutaise ! » « Et si je vais dans le premier hémisphère, celui qui est réservé aux porcs et aux cardinaux ? insistai-je. » « Et bien ! tu y retrouveras ton père, ta mère, toute ta parenté, et en plus, je te le jure, tous les joueurs de golf. »
Vers l’âge de neuf ou dix ans, ma voisine Armande organisait une surprise-partie en l’absence de ses riches parents. Son père avait pris l’avion pour le Brésil et sa mère pour l’Italie : ces deux pigeons s'aimaient d'amour tendre ! aurait dit La Fontaine. Je m’attendais de recevoir un carton d'invitation d’Armande, qui ne vint jamais, probablement parce que, avec ma délicatesse habituelle, je l’avais entartée la semaine précédente. J'étais déçu qu’elle ne reconnaisse pas mon talent de pâtissier (les filles sont jalouses du talent culinaire des gars), car j’avais hâte de pouvoir faire ces choses avec les filles dont les adolescents aiment tant se vanter. Mon ami Robert, de deux ans mon aîné, m’avait appris que lorsqu’on réussit à poser ses mains sur les cuisses des filles (atterrissage délicat à cet âge, mais qui plus tard s'effectue sans turbulence!) et qu’on les embrasse en même temps, elles tombent enceintes immédiatement. Moi, je n'avais jamais entendu parler de cette méthode ultra rapide pour faire des enfants et, sans vouloir contester son immense savoir, j’émis un doute sur le résultat, car j’avais surpris ma sœur précisément dans cette situation et elle n’avait pas eu d’enfant. « On sait bien, dit-il, avec de la bave sur la bouche, ta sœur est une femme frigide ! » Comme il venait d’insulter toute ma famille, je lui dis : « Si tu répètes que ma sœur est frigide, je te casse les deux dents qui te restent. » Pris de panique, il me dit : « J'ai été mal cité par les journalistes ! Ta sœur n’est pas frigide. C’est plutôt une salope ! » Dans ce cas, lui dis-je, tu conserveras tes deux dents ! » Il s'empressa de changer le fil de rasoir de la conversation et enchaîna sur le sujet de la petite fête de ma voisine, en se plaignant de ne pas avoir reçu d'invitation, lui non plus.
J’attendis trois jours et Armande ne me donna aucun signe de vie. Le quatrième jour, dans la ruelle, rencontrant Fernande, sa grande amie, je lui demandai si je pouvais l’embrasser. La petite fille, surprise et ravie, ne demandait pas mieux. Elle me tendit sa joue. Je m’approchais de son nez quand une giclée de morve non réclamée aboutit sur mes lèvres ; c'était vraiment dégueulasse (qu'est-ce qu'on ne ferait pas à cet âge ingrat pour faire plaisir à une femme!). Pour me venger, je m’empressai de lui caresser les cuisses avec l'intention de la mettre enceinte. Les jours suivants, je regardais son ventre qui, à ma grande déception, faisait la planche parmi les dunes. C’est à partir de ce jour que j’ai entretenu certains doutes sur cette théorie pour engrosser les femmes. Par contre, je sais qu'elle est encore très populaire à Rome auprès des cardinaux qui filent, pendant que les jeunes filles défilent et que les prêtres pédophilent !
À quinze ans, pour faire suer mes oncles, des célibataires sentant le moisi, qui avaient recherché toute leur vie la cocotte parfaite, sans jamais parvenir à la faire sauter, et pour épater mes copains, je voulus avoir ma propre petite amie. Timide et maladroit, je recherchais la compagnie d'une fille laide, pour ne pas courir le risque de me la faire chiper ! Dans mon entourage, une sorcière de ce type terrifiait la cohorte masculine et même les vieux, habituellement si vicieux, n'osaient jeter sur elle le moindre regard concupiscent ! Ce canon de laideur répondait au prénom parfumé de Coco. Son nez était plus croche que les déclarations d’impôts d'un comptable italien de Montréal. Avec un empressement qui me parut louche, elle accepta de sortir avec moi. Les membres de sa famille me convièrent à un repas familial pour me montrer leur reconnaissance. La mère, folle de joie, et folle tout court, justifiait l'allure hideuse de sa fille, par une punition du ciel, pour la décongélation subite et mystérieuse de la sainte bite du pape Jean Paul dans une crypte de Rome. On m'assigna une place à côté de cette matriarche, une castratrice de première, qui présidait l'assemblée avec sa voix nasillarde, pendant que son petit mari, un vrai nain vilain et hideux, souillait sa culotte de rétention comme tous les nains vilains et hideux ! Héros de la soirée, je revivais l'ivresse des exploits des sportifs québécois qui décrochent l'or aux olympiques pendant que les athlètes anglophones enregistrent des résultats poches. Comme les champions québécois, je redoutais de devenir un instrument de sale propagande fédérale avec, pour insulte finale, une nomination comme membre du L'Ordre du Canada. Les moumounes fédéralistes du Québec me puent au nez, pourquoi le cacher ? Bref, je n'aurais jamais du accepter cette invitation, car j'avais oublié que la proximité d'un objet grossit sa forme, et Coco, vue de proche, était encore plus rebutante que je ne l’avais imaginé. Aussi, après cette pénible réception, je sondai désespérément dans les livres de bienséance une façon polie de me séparer de cet objet encombrant.
En attendant que le couperet tombe sur cet amour naissant, nous sommes allés au cinéma voir un film d’horreur. On était, comme on dit, « en famille » ; Coco ressemblait tellement à l’actrice du film qu’à la fin de la représentation, j’ai failli lui demander son autographe. Je l’invitai ensuite au restaurant où la voyant humer comme une candidate au Bocuse d'or les fumets en provenance de la cuisine, je pris mes précautions pour éviter la note catastrophique en disant avec autorité au serveur : « Pour nous, ce sera uniquement deux cafés ! » Coco ravala son souffle. Elle craignait plus que la peste un futur marié fauché ; elle soupçonnait que je ferais un écrivain, et dans ses cours de préparation à la bombe M (pour mariage), on l'avait mise en garde contre ce genre de bons à rien qui écrivent des livres sarcastiques et se font vivre par les femmes !
La partie la plus délicate restait à jouer : suivant les us et coutumes, en la quittant, je devais démontrer une certaine forme d'empathie en l'embrassant chastement, par exemple, sur la joue. Problème pratique : comment faire pour éviter la coulée de larve en provenance de son nez torve ? Mes copains, très inventifs, m’avaient conseillé dans un tel cas de fuir à toute vitesse la zone sinistrée sous peine d'être englouti par l'avalanche. Avec la prudence et la circonspection d'un sherpa, je m'approche de sa joue, je ferme les yeux et, pour récompense, j'avale encore une autre maudite giclée de sa larve nasale. J’étais choqué, car la coulée était trop fraîche à mon goût et j'ignorais si le pourcentage d'impureté du liquide, qu'elle m'avait fait goûter, entrait en violation avec la Convention universelle des matières putrescibles ! Sa conduite a réveillé ma méchanceté : je lui ai dit que je lui donnerais de mes nouvelles par la poste. Or, la poste était en grève depuis des mois ! Coco fit alors une crise de nerfs : « Salaud ! Tu me laisses tomber ! Pour toi, j'ai appris tous les trucs cochons de la psychanalyse, enseignés par Freud ! Comme tous les hommes, tu es une brute ! » Cette critique brûlant mon orgueil et attaquant ma masculinité, je répondis : « Et moi, j'ai lu tout Jung, j'ai appris tous ses trucs les plus gentils et jamais je n'ai eu affaire à pareille... » Pour toute réplique, elle versa des larmes.
J’allai raconter cette pénible histoire à ma mère qui partit encore à rire (elle est vraiment rigolote, ma mère!) : « C'est, dit-elle, un pur conflit littéraire entre Freud et Jung que tu régleras plus tard en chiant sur les théories de ces deux merdeux. Pour le moment, je vais te donner un truc que j'ai appris dans la Nouvelle Revue de Théologie française : si la fille te répugne, concentre-toi sur son cul et bénis le ciel de l'avoir mise sur ton chemin parce que tu vas pouvoir faire avec elle des choses intéressantes, plutôt intéressantes et très intéressantes ! L’Église enseigne aussi ce principe dans Les douze étapes en douceur de la vie du prêtre catholique et alcoolique, un recueil qu’un prêtre vertueux m’avait prêté lors d’une retraite fermée (enfin pas tout à fait fermée!). »
Deux mois plus tard, c’était pourtant contre mes principes, profitant de son voyage à l’étranger et de l’adage bien connu : « loin des yeux, tu m'écœures », je lui envoyai une belle carte postale avec église, croix et cimetière, accompagnée du roman Pour qui sonne le glas d’Ernest Hemingway ? Comme elle avait l'ouïe fine, elle ne donna aucun signe de vie.
Trois mois plus tard, la chance me collait au cul, je tombe amoureux fou d’une théologienne qui enseignait la science divinatoire du catholicisme à l’Université de Montréal. Elle avait la bouche d’une actrice trois X, et des jambes avec plus de X encore, de sorte que j’arrivais toujours à la maison avec des érections mystiques nécessitant secouage immédiat du poignet. Chaque dimanche, avant la messe de dix heures, je devais, pour être pur à la communion, me faire épiler les péchés par le curé, car j’officiais comme lecteur. Comme le curé arrivait souvent en retard (il fallait bien qu’il s’occupe de ses poules!), je sautais la barrière de la communion, sacrilège qui n’échappait pas aux aigles de la première rangée qui scrutaient le bas de mon surplis en fantasmant sur mes allées et venues de la veille. Le bon curé, qui n'arrivait pas à faire taire ces langues sales catholiques, n'eut d'autre choix que de m'éjecter de ce panier de crabes.
Revenons à ma théologienne. Ma belle Samaritaine était rongée par le ver de la religion. C'était en plus une débandante affective (les femmes, en général, sont des femmes digitales, puisque, depuis la venue de l'informatique, elles se caressent aussi bien la chatte que la souris !) ; elle ne faisait rien sans l'avis de son confesseur qui précisément lui disait de ne faire rien. Aussi, je passais mon temps à lire du Claudel et des Prions avec l'Église; ce qui n'est pas terrible pour la libido. Cela n'avait aucun bon sens ; elle avait des jambes à faire gicler la queue du pape par-dessus la Place Saint-Pierre, en formant un bel arc-en-ciel tout blanc dans le ciel de Rome ! Or, à cause de cette sangsue en soutane, jamais elle ne permettait l'approche de sa zone payante. Je ne pouvais accepter que ce merdeux à robe noire entrave mes élans sexuels. Je pris mon courage à deux mains et j’annonçai à ma théologienne que j'allais chercher des cigarettes au restaurant du coin. Comme je ne fumais pas, la belle pédagogue dans un éclair d’intelligence céleste, au lieu de me remercier, fondit en larmes. Je pleurai avec elle les larmes les plus sincères de ma vie. Elle crut que je me repentais sincèrement de mon mensonge, que j’étais le nouvel enfant prodigue et que je reviendrais sur ma décision. Mais, pour son grand désespoir et pour mon plus grand plaisir, c’étaient des vraies larmes de joie que je pleurais. Le temps de ma libération théologique avait enfin sonné…
Fébrile comme tout évêque qui borde pour la nuit son enfant de chœur le plus mignon, je repris courageusement mon statut de célibataire, au grand bonheur de mon ami Daniel qui venait d’éjecter de sa vie Rita, la princesse capricieuse, qui refusait de répéter avec lui la meilleure séquence du film porno qu’ils venaient de voir.
Daniel, qui partageait désormais sa solitude en compagnie des papiers Kleenex, avait besoin d’un compagnon pour calmer ses bandaisons. S'imaginant trouver en moi le fameux Grec qu'il avait vu dans le film, il me proposa une variante des cochonneries helléniques qui l’avaient tant ému. Il était en pâmoison devant la philosophie grecque et ses variations anales et malades que lui avaient enseignées, avec des exercices pratiques, ses professeurs agrégés, membres honoraires du Conseil des Arts du Canada. Fort heureusement, ces saloperies n’avaient aucune emprise sur moi. Pour dire vrai, elles me dégoûtaient. Je décidai de mettre la pédale douce sur ce genre de musique et lui préférai la compagnie d’André, un as du bicycle, mais pas pédale pour deux sous ! Il excellait dans tous les sports extrêmes : tout l’intéressait à la condition de revenir à la maison avec un bras cassé, une cheville amochée ou un genou déboîté. Ce maniaque s'amusait à faire chavirer le canot dans lequel nous nous trouvions, question de pratiquer ses techniques de survie. Comme j’avalais une pinte d’eau chaque fois que nous pratiquions ces jeux de barbotage, je lui conseillai à l'avenir de se faire accompagner par un canard. « Je n’en connais aucun », dit-il. « Ah! Non! Et, ta sœur, tu la connais ! » lui ai-je demandé. Notre belle amitié prit l'eau.
Pour chasser l'ennui, j'entrepris ma maîtrise en lettres à McGill university. On m'assigna comme tutrice une belle Birmane animale, brillante comme un plancher ciré, et assez reluisante en français. Elle me reçut dans un loft qui lui servait de bureau, et avant d'enlever son slip, en guise d’examen d’admission, elle m'avertit qu'un Tigre du Bengale, avec ses crocs acérés, allait bondir de son buisson vaginal. Je pris peur, car ma carte de dompteur de tigres était expirée depuis ma théologienne, mais la Birmane m'informa que je passais l'épreuve d'admission en français de McGill university. Quand elle m'a demandé quel était le sens des deux points dans la théorie de la ponctuation et que je lui palpai les seins, elle me regarda avec un point d'interrogation, puis elle émit un point d'exclamation en voyant mon impressionnante virgule. Craignant de se faire prendre entre parenthèses, elle mit un point final à mon ardeur, en concédant que j'étais plus doué en français que la moyenne. Et après trois points de suspension..., elle accepta de diriger ma thèse.
Je pensais naïvement qu'on plongerait dans l'étude des grands auteurs comme Hugo, Balzac, Voltaire, Rousseau, mais elle me proposa à la place d'écrire une thèse sur la sémillante Canadienne Gabrielle Roy. Je n'ai rien contre elle, c'est sans doute une bonne personne, propre, élevée par les bonnes sœurs, canadienne, et tout et tout, mais quand je pense qu'on a le privilège d'avoir dans notre vrai pays, le Québec, deux écrivains québécois de très forte voilure, Anne Hébert et Gaston Miron, je ne vois pas pourquoi, au lieu de sillonner la mer, on se contenterait de patauger dans la marre des canards ! Je voulais respirer l’air frais du large, pas celui des cales sèches ! Perplexe, je m’interrogeais sur l’utilité de ce département de français de McGill university quand d’excellents professeurs enseignent déjà cette matière dans les universités francophones de Montréal. Il est vrai que leurs conseils d'administration ne font pas une pause religieuse le samedi, et qu'ils ont beaucoup moins de sous que leurs rivaux ethniques. Les administrateurs anglophones, avec plus d'argent, sucent quand même le gouvernement pour avoir des subventions et travaillent à l'assimilation des Québécois sur leur propre territoire. Pour moi, c'est une énigme...
McGill university est Canadienne avant tout. On aura beau lui tordre le cul, la mettre sous torture, jamais elle ne sera québécoise. Traditionnellement, elle vise l’épanouissement de la communauté anglaise et, forcément, cela s'opère au détriment de la communauté francophone. La vraie question à se poser est la suivante : pourquoi les Québécois acceptent-ils béatement de faire saper leur rêve de pays et de se faire mettre les bois dans les roues sur le plan économique par les Anglos en provenance de McGill university ?
Je compris alors que je devais longer les murs en silence. Et quand je remis un mémoire de maîtrise rose vif, portant sur l'épanouissement des auteurs canadiens-français au Canada, je fus reçu avec des cris de joie par le milieu universitaire anglophone. On soumit dès lors ma candidature pour obtenir l'Ordre du Canada. Je reçus solennellement et pompeusement mon diplôme lors d’une belle soirée académique sous le riche patronage du parti libéral.
Ce diplôme en poche, frappé du sceau de la manufacture anglaise, je pris l'avion avec l'objectif ambitieux et prétentieux de conquérir la France littéraire ! J’avais beaucoup fréquenté les auteurs classiques en dehors de mes cours à McGill ; c'était la seule façon de les connaître et les apprécier (!), et j’estimais pouvoir facilement rivaliser avec leurs avortons sur leur propre terrain. Plus pauvre que Job, qui avait tout de même son tas de fumier, j'avais, au préalable, pris rendez-vous avec un important gérant de banque italien de Montréal pour avoir suffisamment de sous pour m'offrir le fumier du jour des restaurants de Paris. Je montrai à mon gérant mon diplôme obtenu de McGill university et j'osai lui demander de l'argent. Il partit à rire (il trahissait son statut d'ancien de cette institution), mais pour me consoler, il consentit à me prêter trois mille dollars, si j’en remboursais le double, soit six mille dollars, le mois suivant, sans quoi il chargerait son vice-président (un confrère), de me casser les jambes (ça faisait partie de sa description de tâches). Je lui fis humblement remarquer que ses méthodes s'apparentaient à celles de la mafia. « Vous êtes fin observateur, mon gars, mais c'est ainsi que ça se passe dans les banques à Montréal. Naguère, confessa-t-il en imitant la voix de Marlo Brando dans le film « Le Parrain », les emprunteurs riaient de nous, les
Italiens, en disant que nous ressemblions à de grosses pointes de pizza flottant dans du fromage Parmesan et qu'ils nous rembourseraient quand bon leur semblerait. C'était humiliant, ça nous donnait des gaz et nous causait des migraines pour lesquelles on devait consulter des psychiatres. Désormais, si un emprunteur ne paye pas ce qu'il doit, sa vie comme son prêt arrivent à terme ; on reçoit le paiement à l'enterrement sans que les policiers ne nous fassent d’histoire. Jamais d’enquête ! Et ça fonctionne bien. »
À la fin du mois, j’avais oublié ce petit détail qu’on appelle un remboursement. Le gérant italien m’appela à Paris pour me confesser que mon dossier l'obligeait à essorer ses culottes et que la seule manière d'arrêter le déluge, selon son médecin, c'était de lui envoyer un paquet d’argent liquide de six mille dollars, sinon son vice-président, qui était en nage lui aussi, trouverait bien une solution à ce problème. En somme, je lui causais une telle fatigue qu’il se faisait du souci pour la suite de ma vie. Il me suggéra d'aller flâner dans le cimetière le plus proche, de me branler, peut-être pour la dernière fois, en parcourant la nécrologie des journaux et de lire les dernières pages de Bonheur d'occasion de Gabrielle Roy. J'étais irrité non par les conseils qu'il me réservait (c'étaient ceux d'un bon père de famille), mais plutôt par sa suggestion de lecture, car je trouvais qu'il y avait mieux. De plus, je soupçonnais qu'il sentait le porc et qu'il avait négligé de respecter le sabbat. Le drôle admit qu'il avec un porc comme esclave sexuel, et qu'il n'allait pas à l'office, car le Talmud n'était pas assez cochon pour lui. En outre, il trouvait insupportable que je mette en doute ses talents de critique littéraire. Mettant un terme à ses confidences, il m’assura qu’il veillerait personnellement sur mon avenir qu'il estimait particulièrement court. Je lui répondis que s’énerver ainsi le ferait pisser davantage et l'empêcherait de lire la belle prose de l'écrivaine Gabrielle Roy. Je lui envoyai mille baisers de France en l’invitant à humer la culotte de rétention de son chien homosexuel. Au bout du téléphone : silence lourd ! Bientôt suivi du commentaire suivant : « C'est vrai que mon chien dégage une certaine odeur, mais il n'est pas homosexuel pour autant ! Pour cette insulte à toute la communauté italienne, tu vas devoir me rembourser douze mille dollars. » Il raccrocha.
La queue orpheline, je rodai autour des cinémas pornos à la recherche non pas du temps perdu, mais d’une demoiselle dont l’honneur perdu me rapporterait quelques sous au lieu de m’en coûter, car je voulais rembourser mon gérant mafieux.
Le genre de poule que je recherchais se retrouve généralement dans les nefs des églises ou dans les fourrières féministes. Le ciel complice veillait sur moi ! En me rendant au Bois de Boulogne, cathédrale des sens, j'aperçus une vraie Sainte Vierge qui, les jambes écartées et sans petite culotte, récitait (quelle idée, ma foi), son chapelet. Cette catholique d’allure mondaine (vous allez me dire que les mondaines ne ressemblent pas toujours à des putes, et je vous répondrai que, bien au contraire, les mondaines ne sont bien souvent que des mondaines!), ne désirait pas tant arrondir ses fins de mois que de se faire effeuiller le missel en faisant froisser les pages de ses jupons (c'est le désir secret de toutes les femmes catholiques et les pépères de l'Église le concèdent entre les lignes). Me sentant pépère, moi aussi, je ne pouvais bouder ce plaisir. Je m'offris cette proie au milieu des buissons et, pour m’être encanaillé, je récoltai, dès le lendemain, des champignons variés, et surtout très avariés, qu’elle tenait de son curé, de Pierre, Jean, Jacques, et de beaucoup d’autres maris, tous fidèles à leur femme.
Pour justifier son métier de prostituée, elle disait : « À seize ans, lors d'un cours privé de chant grégorien, un cistercien des plus savants, m’a assiégé le petit Jésus
sous prétexte que le démon squattait dans cette région. Fin connaisseur, il me proposa de le chasser immédiatement en le pulvérisant avec des gouttes blanches en provenance de son compte-goutte ecclésiastique, faisant l'objet d'un brevet du Vatican. Je trouvai son plan merveilleux et, en bonne épicurienne, je consentis à perdre ma virginité. Cependant, mes parents, qui sont d'une autre époque, quand ils virent mon ventre se gonfler comme une voile, me prièrent (en bons catholiques!) de faire mes voiles. Comme un ballon qu'on crève, je fus expulsée de la maison familiale. »
Appréciant sa sincérité, j’adoptai Vierge Marie. Et dès que je fus complètement guéri des champignons qu’elle m’avait donnés en guise de bienvenue, cette divine orpheline, plus chaude qu’une pute de cinéma, généreuse et capable de tout, rajouta à ses bienfaits, après être encore allée jouer au Bois, une autre chaude-pisse qui requerra toute la science, l'imagination et la patience d’un médecin pisse-froid, grand spécialiste des maladies vénériennes. Vierge Marie, magnanime, offrit de payer le prix très élevé de la patience du médecin. Cependant, le lien de confiance entre nous s’était brisé (comme disent les employeurs en congédiant leurs esclaves) et je la répudiai.
En proie au syndrome de la queue solitaire et délaissée, je me rabattis sur une étudiante encore mineure, qui revenant de l’Île Maurice, fit la moue devant mes performances pourtant honorables qu’elle compara aux prouesses incroyables de son fameux Bouhamoumou, un macaque de cent kilos, qui avait passé toutes ses nuits dans la jungle à lui donner des « extra » et des « encore ». Comme j’étais doué pour les « extra », mais pas encore pour les « encore », après trois heures de frottage de peau, ressentant une légère fatigue, j’estimai que les préliminaires étaient terminés et que c’était le moment de rassembler mes dernières forces pour expulser mon jus. Tel un pompier, je l'arrosai avec toute ma fougue. Ma belle, très déçue de la fin du programme et forte en répartie, me traita « d’éjaculateur précoce » ! Cette remarque me blessa (dans mon humble personne, elle s'attaquait au roc de l'invincible virilité de l’homme et j'avais tout de même travaillé pendant trois bonnes heures sans être payé). En signe de protestation, je quittai immédiatement le plumard en remontant le menton à la manière de Mussolini (j’avais vu cela aux actualités et ça m’avait impressionné). La jeune femelle, repentante et magnanime, se dit prête à reconsidérer mon cas et à m'accorder une autre chance, à la condition expresse que je relève le défi du suppositoire ; il s'agissait d'aller la baiser chez elle, sans faire de bruit, pendant que son père, un gendarme de métier, regarderait la télévision. Par fierté (elle avait éreinté mon amour-propre), j’acceptai de relever ce défi enrobé de danger (à cause du suppositoire sans doute!). J'étais très sceptique quant au résultat, car son gendarme de père avait l’ouïe fine des dauphins et les programmes de télévision de la soirée s’annonçaient ennuyants. Bref, la conjoncture était favorable à ce qu'on me prenne les culottes baissées ! En sonnant à la porte, je figeai en apercevant son bloc de glace de paternel, un colosse, pesant plus de cent vingt kilos. Il me conduisit auprès de sa fille, en me disant d’une voix doucereuse et crémeuse comme celle d'une jeune fille timide, d'en pendre bien soin. Personnellement, j'appréhendais son statut incertain de mineure et j'avais des doutes sur le sens de l’humour du paternel. En faisant des pointes de ballerine, j'entrai doucement dans sa chambre (l’heure du suppositoire était arrivée!) et ma généreuse devint plus molle qu’un cornet de crème glacée qui fond Sous le soleil exactement (comme dit la chanson). Ma belle aventureuse, souriante comme une abbesse recevant de l'évêque, comme signe d'amitié, de nouveaux cierges pascals, qui, détail non négligeable, sont plus gros que ceux de Noël, m'accueillit en avouant qu'elle irait raconter à son père que je l’avais violée, si je ne l'envoyais pas directement au septième ciel comme une fusée en moins de cinq minutes. En somme, elle privilégiait la performance quand je recherchais l'amour... Devant cette méprise, redoutant une descente de flic, je sautai par la fenêtre et m’engouffrai dans la ruelle arrière en vérifiant, de temps en temps, si quelques volées de plombs ne m'avaient pas troué les fesses...
Tout en transe après cette course effrénée, j'entrai dans un bar et j'avalai un cognac. À peine étais-je arrivé que le garçon m'avertit qu'on voulait me parler au téléphone. Surpris, je prends le combiné pour entendre la voix familière de mon gérant de banque italien qui dit : « Mon bon ami (c'est ainsi que les Italiens appellent familièrement ceux qui finissent avec un coup de couteau dans le dos), tu me dois vingt-cinq mille dollars. » Je lui réponds : « Voleur ! Je ne te dois pas cette somme. Veille sur la vertu de ton chien qui sent la grosse mama italienne ! » « Jeune insolent ! tu vas me le payer ! articula-t-il très lentement ». Et il raccrocha...
Ce téléphone m'avait bouleversé. Je marchais pour évacuer cette crotte italienne quand j’aperçus deux jeunes ados qui s’en prenaient au sac d’une vieille dame. Cette dernière hurlait en distribuant des coups de canne. Trouvant la cause étonnante et le combat inégal, mon âme de sauveteur et ma frustration de baiseur refoulé me firent voir rouge. Devant le feu de mon regard, les ados, croyant avoir affaire à un fou, ne firent ni une ni deux et déguerpirent. La vieille, plus troublée par cette attaque de voyous que par sa dernière relation sexuelle avec son évêque, revenant de Rome bandé comme un coq, me supplia de la reconduire chez elle. Elle habitait le quartier des pleins de merde et de fric. Après avoir vomi toute sa mésaventure à son fils chéri, qui payait au noir les touchers de son assistant marocain et s'adonnait au troussage domestique avec la cuisinière pakistanaise, la vieille exigea qu’on me serve le cognac du sauveteur. Elle s’enquit ensuite de la raison de mon séjour à Paris. Je confessai que j’étais demandeur d’emploi. Faisant valoir mon diplôme de maîtrise en lettres de McGill university (cela la fit cligner des yeux), je lui confiai que je souhaitais travailler dans le domaine de l’édition en qualité de nègre, car avec le diplôme déconsidéré que je venais d’obtenir (elle approuva d'un signe de tête), je ne pouvais rien espérer de mieux en France. J'ajoutai que je connaissais l’œuvre de la Canadienne Gabrielle Roy. « Celle qui écrit des livres de recettes, dit-elle, je la connais, j'ai déjà mangé un de ses trucs au resto. Ce n'était pas mauvais, pas très subtil, mais enfin... » Je n'osai la contredire, sachant que les éditeurs québécois mettent tous leurs œufs dans ce genre de panier. « De plus, ajoutai-je, comme deuxième handicap, je porte un nom qui sonne sec dans les salons, car il n’a pas de particule pour le gonfler comme un ballon ; cela me disqualifiait auprès des maisons d'édition prestigieuses comme Gallimard ou Grasset. Enfin, comble d'effronterie, je n’avais pas daigné verser le pot-de-vin coutumier du petit nouveau à un académicien pour qu’il me parraine, ni donné mes cent balles pour qu'il me migraine. À ce jour, tous mes manuscrits ont été systématiquement refusés, sans même avoir été lus, pratique édifiante tout à l'honneur de l’édition française ! Émue par ma franchise, la vieille me lance tout de go : « Mon petit, le diable vous a allumé un lampion béni dans le cul, car mon fils chéri, mignon comme tout, est candidat pour le prochain prix Nobel de littérature (ma famille a les fonds nécessaires et les appuis politiques, n'en doutez pas!). Il travaille comme directeur du journal ParisVache et il va vous engager. Évidemment, à cause de votre manque d'expérience, vous n'avez pas la plume pour caracoler en tête des colonnes du journal Le Monde Diplomatique mais, au moins, vous allez pouvoir bosser tous les jours de la semaine et puisque vous n’êtes pas juif de naissance et que vous ne pouvez pas compter sur l'échelle de Jacob (honte à vous!), vous allez devoir commencer au bas de l'échelle et non à l'échelle des bas comme disent à la blague les jeunes loups rédacteurs.
Son fils, Hubert de Vaurien (son nom sonnait moins sec que le mien) grimaça, mais ne pouvant résister à l’autorité de sa mère, il me convoqua pour le lendemain à la rédaction du journal ParisVache. En tant qu’immigrant, il me reçut avec tout le respect et toute la considération qu'on accorde à un Arabe qui nettoie les chiottes. Il m'avoua qu’il aurait préféré que sa vieille meure étripée par les jeunes voyous que j’avais chassés, qu’il était franchement désolé que je l’aie sauvée, que la mort de cette pourriture (il parlait de sa mère) l’aurait personnellement arrangé vu que sa succession pissait le fric. Puisque la vioque vivait toujours, et qu'il n’était pas un fils ingrat, il n'avait d'autre choix que de faire les caprices de cette sautée. Bon perdant et bon prince, il me confia l’immense responsabilité de rédiger la rubrique des chiens écrasés du journal avec l’obligation d’enregistrer tous les jappements et les frétillements de Frigide Fardeau, quand elle s'adresse à ses pairs, les bêtes.
Pendant six mois, pas un chien mis en charpie par une tondeuse, pas un chat errant circulant librement dans Paris, ne fut négligé dans ma chronique. Il se produisit alors un incident important : la comtesse Mal Éduquée (qualité courante à Paris) en allant se faire frisotter le poil du pubis chez son raseur de touffe par un bel après-midi de novembre, dans l’arrondissement des précieux, avait laissé sa chatte Anémone sans surveillance. La chatte fut kidnappée par deux Chinois immondes qui menacèrent de la déporter à Pékin, Place Tian'anmen, pour la faire miauler en toute liberté. C'était, chers lecteurs, une attaque en règle contre ce régime démocratique qui tient en place par la compassion de son armée et par l'ouverture d’esprit et la souplesse de ses dirigeants. La grande Frigide Fardeau, qui en savait un bout (était-ce le bon?) sur ces salauds marinant dans la poutine chinoise, promit de se faire photographier les seins nus pour payer la rançon exigée par les kidnappeurs de la chatte. Malheureusement pour le félin, la photo des seins de Frigide Fardeau fit rire tout le monde, y compris le curé de Montmartre, un amateur de boules et vicieux de première, jurant que durant toutes ses visites paroissiales, il n'avait jamais rien vu d’aussi moche. Les voyous chinois se comportèrent comme des voyous chinois : ils abandonnèrent l’idée d’obtenir une rançon et abattirent la chatte en mimant des chinoiseries (quels vilains personnages). Pris de remords après cet acte abject, ils se constituèrent prisonniers. Ils furent soignés à l'institut psychiatrique de Paris, qu'on appelle familièrement l’Académie. Or, cette nouvelle importante, qui tenait les lecteurs des particules élémentaires du journal ParisVache en haleine, n’était que pure invention ; la chère comtesse Mal Éduquée, elle portait dignement son nom, avait monté toute cette affaire uniquement pour faire parler d’elle au journal de vingt heures. Elle comptait, en effet, pouvoir se remarier avec un culturiste nègre, homosexuel et aveugle pour pouvoir avaler en toute légalité et en toute quiétude sa grosse bite (c’était son fantasme de vieille). Ce Nègre, adepte de cannibalisme, la veille de la cérémonie nuptiale, croyant manger un homme Blanc avec une pincée de sel, avala à la place un rat noir avec une cuillerée de poison. Cette erreur lui coûta la vie. Remuant ciel et terre pour que cette nouvelle effroyable soit étalée dans tous les journaux, et en particulier dans ParisVache, la comtesse dut se rendre à l'évidence : cela n'intéressait pas les journalistes qui préféraient écrire des éditoriaux dithyrambiques sur la belle actrice Andrée, une prude comédienne des films trois X, qui apparaissait à poil dans un film porno sur Jeanne D’Arc. Devant l’indifférence des journalistes, la comtesse voulut se venger en faisant voler sa chatte préférée par les deux Chinois, résidant à deux pâtés chinois de son domicile, tout en gardant sa chatte personnelle propre et intacte. Pour avoir relayé cette fausse nouvelle, je fus licencié, dans le déshonneur, malgré mon beau diplôme flamboyant de McGill university.
Le moral dans les talons, je faisais une promenade pour me requinquer le québécois, quand un grand gaillard m'accosta  : « Je suis le vice-président de Banque Usuraire de Montréal avec laquelle vous avez fait affaire et je viens vous réclamer les vingt-cinq mille dollars que vous devez à notre distingué gérant. Si vous refusez de me rembourser immédiatement, je me transformerai en Terminator ». « Pour cela, je dois passer à ma banque », dis-je dans un éclair au chocolat d'intelligence, en me demandant ce que je devais faire pour me débarrasser de ce pot de colle. « Je vous accompagne », dit-il avec un sourire de satisfaction. J'entre alors dans une institution bancaire, rue des pleins, et m'approchant d'un comptoir de prêt, je crie à tue-tête, en désignant le vice-président italien : « Au voleur ! Au voleur ! Cet homme est un voleur de banque. » Aussitôt, une caissière actionne le signal d'alarme. Pris de panique, l'Italien n'eut d'autre choix que de déguerpir. Quand les gendarmes arrivèrent, je leur racontai qu'un sale individu (membre de la nationalité usuraire) voulait m'extorquer. Les gendarmes m'invitèrent à déposer une plainte contre X, et comme je trouvais que les enquêteurs, en désignant X, avaient une vision trop étroite des choses puisque je leur avais raconté toute l'histoire de A à Z, je mis les bouts comme disent les Français.
Triste et incompris, j'entrai dans un café où une petite brune, mi-avocate, mi-salope (souvent elles font les planchers dans les bars ou s'adonnent au pole dance (comme la Reine d'Angleterre selon la rumeur) pour se faire des clients!). Elle était si pimpante qu'elle attira mon attention. Elle avait les jambes dignes de figurer parmi la liste des plus beaux péchés (j'ai une fixation sur les jambes), et une poitrine de poupée gonflable qui me gonfla. Suivant le rituel de l’écrivaine, elle faisait semblant de noter dans un petit cahier noir, en bâillant de temps en temps, quelques réflexions profondes sur son moi, sur son sur-moi, sur son en-moi, sur son émoi et sur le mois en cours (elle avait lu Freud, c'est certain), en fronçant les sourcils à la manière d'Élisabeth Badinter, pour avoir l'air intellectuel. M’approchant de ce petit bas-bleu (j'avais de l'éditeur dans le nez), je me présentai en tant que chroniqueur du journal ParisVache, mis en réserve du grand journalisme pour six mois, en attendant d'écrire des sermons pour la publication La Croix vous aime et le Christ se fiche bien de vous ! À la manière George Clooney, je fis rayonner mon sourire avec mon dentier blanchi à la chaux. L'effet fut foudroyant : l'avocate mi-salope, mi-avocate, lança nerveusement : « C'est vous qui écrivez toutes ces génialeries sur les chiens écrasés, en citant du Léautaud ! » Prenant l'air princier de Laurence d'Arabie, je ne répondis pas. En grand seigneur, je m'assis à sa table et j'allumai négligemment une cigarette que j'enculai dans mon porte-cigarette, à la manière de Philippe Sollers. Ma cigarette émit une fumée blanche en signe de satisfaction (la même que celle qui indique qu'un nouveau pape a été enculé par ses pairs pendant qu'il était emmuré pour que personne ne puisse entendre ses cris de joie) ! La petite raffolait de ma chronique qu'elle trouvait encore plus drôle que les éditoriaux du journal Le Monde qui sont tellement coincés qu'ils font éclater de rire les lecteurs. Elle avait publié un premier roman sur lequel les éditeurs avaient craché sous prétexte qu'ils ne pouvaient obtenir de subvention (celles des vautours ou des assistés sociaux éditeurs). En réalité, l'écrivaine refusait tout simplement de se mettre à quatre pattes et de s'écraser en remerciant, dès la première page, suivant l'usage des éditeurs québécois, le Conseil des Arts pour l'aide obtenue. Cette pratique colonisatrice humiliante qu'on retrouve dans tous les livres du Québec démontre l’à-plat-ventrisme des éditeurs québécois. Elle force l'auteur à salir son livre avec de la sale propagande pour la merde fédérale et le signale à tous comme une carpette. Partout ailleurs, on ne dégoûte pas l'auteur et le lecteur de cette façon : on présume qu'ils sont intelligents !
« Mon deuxième roman sera publié, poursuivit-t-elle, car malgré tous les obstacles précités, mon éditeur a une obsession pour mes jambes. » Comme j'avais la même fixation que lui, je lui demandai de pouvoir visiter son lieu de création, avec en tête une idée de récréation et peut-être même de procréation ! Dès qu’elle fut calée dans son fauteuil préféré, mimant le petit chien, je me suis mis à quatre pattes à la hauteur de ses fameuses jambes et commençai l'exploration, millimètre par millimètre. « Pourquoi faites-vous cela ? », demanda-t-elle, la voix chargée de féminisme ? « C'est que, répondis-je l'air étonné, je veux voir où cela va me mener ! »« Et où pensez-vous que cela va vous conduire ? » « Directement devant le juge, si je poursuis trop loin. » « Êtes-vous fétichiste, par hasard ? » « Non, je suis plutôt unijambophile ! repris-je, en langage d'édition cela ne veut pas dire que je mange uniquement du jambon, mais plutôt que je ne tripote qu'une seule jambe à la fois... en gardant l'autre pour le dessert. » « Vous m’apprenez un nouveau mot », me dit-elle. « Avant longtemps, ma petite, vous allez connaître tout le vocabulaire de l'édition. » « D’après ce que je peux voir, vous êtes plutôt du genre fringant, puisque vous me caressez déjà le haut des cuisses. Pensez-vous à monsieur le juge ! » « Non, votre Seigneurie, c'est que je dois éviter de laisser de l'espace blanc entre le paragraphe des cuisses et celui des petites culottes ; vous n'allez pas m'apprendre mon métier tout de même ! »
Ainsi, je lui enseignai l'édition une bonne partie de la nuit... À l’aurore, je lui demandai (je suis quand même un honnête homme) de me montrer son manuscrit. « Je n'ose pas, dit-elle en baissant les yeux, un livre c'est tellement personnel ! » J'invoquai le secret professionnel et j'ajoutai que le chansonnier Brassens qui m'avait fait trouver « des jambes de reine »... Et, après d'autres audaces de plume autour du plumard, elle céda et consentit à me montrer son travail. Par Mauriac ! Par Gide ! Par Pagnol ! c'étaient deux cents pages dignes de Gabrielle Roy ! J'allais lui suggérer avec délicatesse de mettre son manuscrit à la poubelle lorsqu'elle fit un décroisement de jambes qui méritait le prix Goncourt ! Son talent était indéniable ! « Vous êtes géniale ! », lui dis-je en état de grâce, et en lui écartant les jambes davantage, un peu comme un bon prêtre ouvre son missel entre les fesses de son enfant de chœur. « Je vous engage comme nègre, lança-t-elle avec joie, et l'Académie Goncourt aura, elle aussi, son nègre.
Je laissai dormir mon petit brouillon dans l'appartement et j'allai dans un bar de danseuses pour mijoter un autre plat et abattre d'autres cartes qui me rapporteraient également des sous (je suis joueur, capitaliste et décadent!). Je fis ainsi la connaissance de Fatima, une petite perle turque, venue du moyen orient. Musulmane, mais pas folle, je vous assure, elle était accompagnée de son frère, Mohammed la Saucisse de Turquie, qui suivait son cul partout où elle allait ; les femmes musulmanes ont absolument besoin de surveillance de la part des membres de leur famille (il faut toujours qu'elles demandent la permission qui à leur père, qui à leur frère, pour faire quelque chose). Assis auprès d’elle au café, Mohammed surveillait jalousement sa vertu, et quand je glissai amicalement ma main sur la cuisse de la jeune Turque, en guise de présentation, il me sauta à la gorge, vif comme une panthère. Heureusement, il avait oublié d'apporter son arme blanche ! Je trouvai sa réaction un tantinet animale et familière, car nous n'avions pas gardé les cochons ensemble, comme disent les Français bien élevés. Je me dégageai de son emprise amicale en utilisant un truc d'autodéfense féministe. Il me traita d'impur et me lança une bordée d'injures du grand Prophète. En guise d’accommodement déraisonnable, pour calmer le jeu, je leur offris un verre d'alcool, accompagné de jambon frais. Mohammed refusa net, en son nom personnel et au nom de sa sœur (évidemment), car cela contrevenait aux principes du Coran qu'il cita très longuement. Mon enthousiasme envers la poupée turque, qui avait pourtant un cul superbe, déclina comme un quartier de lune bizarre s'éteint sur l'Orient quand les chameliers se prennent le chameau avant de s'endormir, parce que je n'avais pas le goût de me faire vomir toute la littérature ottomane. Les dattiers orientaux, gorgés de sève, m'excitaient bien sûr, mais il y avait un gros noyau (son frère) dans le fruit !...
Je m'apprêtais à partir sans demander mon reste quand un gros bonhomme, gonflé par l'obésité et les gaz infects de la bière canadienne Molson, portant imperméable, chapeau noir et souliers vernis comme dans les films de série B, entra brusquement dans le café. Il regarda nerveusement autour de lui et me dévisagea. Il se dirigea droit vers moi et me dit les dents serrées : « À Montréal, j'ai vu ta photo dans le bureau de mon patron. Tu lui dois trente mille dollars pour avoir répandu la rumeur selon laquelle son chien sentait la grosse mama italienne. » Quand on m'apostrophe ainsi, moi aussi, je suis capable d'apostropher et de mettre de l'insolence dans mes répliques : « Va dire à ton enfoiré que je maintiens que son chien projette des odeurs de grosse mama italienne. En plus, c'est un chien bâtard ! » L'inconnu sortit un revolver qu'il tendit au bout de son gros bras canadien de merde. Je figeai. Mais, aussitôt qu'il aperçut le flingue, le rigoriste musulman, Mohammed La Saucisse de Turquie, qui craignait que sa sœur ne soit témoin d'un meurtre (c'est interdit par le Coran), réagissant comme la terrible panthère dont j'ai parlé plus haut, émit un rugissement épouvantable et lui administra un punch aussi foudroyant que celui qui a fait flancher les genoux de Joe Frazier, au septième round, dans son combat de championnat du monde contre Mohamed Ali. Le collecteur italien vit un paquet de tomates roses, des sereins bleus, et beaucoup d'autres choses que je ne peux décrire décemment, car les enfants savent lire et que cela pourrait les troubler ! J'en profitai pour lever les feutres.
Je retournai, le cœur haletant, à l’appartement de mon écrivaine pour savoir où elle en était rendue dans sa décomposition. « Tu es blanc comme un drap ! dit-elle, aurais-tu fait une mauvaise rencontre ? » « Pas du tout, lui répliquai-je, je ressentais le besoin d'être avec toi. » « Comme tu es romantique ! Moi aussi, je m'ennuyais de toi. »
Après ces tendres aveux qui vont faire baver d'admiration les féministes et les inciter à casser leurs chaînes pour dire « Oui » à l'amour, j'enchaîne...
Puisque j'avais des réserves sur son manuscrit, je proposai à mon écrivaine de séduire le jury du Goncourt avec un propos plus léger, conforme à la philosophie rétrograde de ces messieurs ; je lui suggérai d'écrire la biographie de Ding Dindon, un dirigeant chinois, décoré par le parti, qui faisait partie des brillants qui ont réprimé la manifestation de la Place Tien'Anmen en 1990, en chassant des étudiants désarmés. Mon bas-bleu, faisant preuve d'une étonnante maturité, exprima son désaccord : la bande de macaques des Affaires étrangères va nous sauter dessus comme des gorilles sautent sur des bananes. Ces apparatchiks mènent la politique internationale française comme on dirige un corps de clairons : beaucoup de bruit, beaucoup de vent et des résultats médiocres ! Ils bombent le torse devant le Chinois, l'Américain et l'Allemand, mais « ce sont des veaux ! » aurait dit le Général Charles de Gaulle avec son regard d'aigle. Puis, elle émit un doute : « J'ai beau avoir de très belles jambes, les vieux cochons du Goncourt bandent-ils encore ? »
Par dépit, je lui ai proposé d’écrire l’histoire du lion affamé, amoureux fou d’une gazelle, et qui, au lieu de la dévorer, se laisse mourir de faim. Cette fable métaphysique piqua au vif mon écrivaine ; elle me traita des mots les plus durs : « théologien », « moine déchaussé » « prêtre », « cochon d'évêque », « suppôt de cardinal », et elle m’accusa, comme Socrate, de vouloir corrompre la jeunesse : « Ta gazelle, petit malin, c'est Mémère Teresa, et ton lion, c'est feu le pape Jean-Paul II. Ton histoire, dit-elle la bouche écumante, est pleine de sous-entendus. Comment avec pareil sacrilège, une cochonnerie au deuxième degré, vais-je pouvoir faire craquer les gens de la deuxième Académie, qui peinent déjà à saisir un roman au premier degré ? » Me jetant un regard oblique (elle écoutait toujours du Brassens), elle m’ordonna de composer d’ici trente jours, en quatre cent treize feuillets, pas un de plus, une nouvelle Comédie humaine, sinon elle me flanquait à la porte. Or, en tant que nègre, je revendique la dignité des Noirs, même si je suis un Blanc. (Lecteurs, me suivez-vous toujours ? Ce n'est pas le temps de dormir votre vie, même si je vous raconte une histoire à dormir debout !) Et comme je n’avais nulle envie de faire de l’ombre à Balzac et surtout être obligé de quêter ma pitance, je lui proposai un nouveau plan d'épargne ; une nouvelle aventure qui raconterait la passe d’un homme politique de l'Hexagone avec un enfant mineur, lors d’un voyage en Asie. « Je ne veux pas un autre reportage sur les scouts, ça manque d'originalité ! », me dit-elle. Et, pour une fois, elle visait juste.
En lorgnant ses jambes avec mélancolie, je poursuivis : « Je te propose les plus forts sujets, tirés de l’Histoire sainte, qui vont faire de toi une écrivaine célèbre, encore plus merdeuse que Valérie Trierweiler. Chérie, ne boude pas ton bonheur : tu vas pouvoir réaliser le rêve américain tout en restant à Paris. Chaque année, les actrices et les acteurs français les plus rampants de l'heure font déborder leurs culottes de rétention, à Cannes, devant des producteurs hollywoodiens de série B, pour réaliser ce rêve et, toi, avec la bombe de mon manuscrit et l'éloquence de tes jambes, tu pulvérises le jury Goncourt et la France entière te consacre comme sa nouvelle Sagan ! »
Cinglante et impériale, elle objecta : « Ton talent incommensurable, cher nègre, a-t-il déjà été couronné par quelque prix littéraire ? As-tu au moins publié quelque chose dans une maison d'édition reconnue ? As-tu déjà été révélé comme grand écrivain au Québec en publiant un livre de recettes, seule spécialité des éditeurs québécois ? Et dernier coup de poignard : « Comment se fait-il que d’autres, moins talentueux que toi, remportent le Goncourt, sans avoir de maîtrise en littérature française de McGill university ? »
Cette deuxième flèche de Guillaume Tell (celle qu'il tenait en réserve pour tuer le bailli), au sujet de mes études littéraires à McGill university, m'alla droit au cœur. Mon diplôme manquait de vernis, je le savais bien, alors, dans un geste théâtral, empreint de grande dignité, je dis à ma poupée de plume que j’avais oublié de mettre mon réveil-matin à l’heure normale dans ma chambre d'hôtel. Cette opération ne pouvait être différée, car la minuterie était reliée à une bombe à retardement qui pouvait exploser à tout moment. La jeune écrivaine au talent insondable, mais aux jambes sublimes, manifesta autant de surprise que si je lui avais débité un mensonge. C’est, chers lecteurs et lectrices, le moment le plus touchant, le plus troublant, le plus poignant de cette série de vacheries, qui m'arrache le cœur : les femmes ont toujours l'impression que je mens quand je dis la vérité, et lorsque je dis vraiment vérité, elles sont sûres que je mens ! Ce paradoxe a empoisonné toute ma vie au point où désormais je partage mon lit avec une poupée gonflable qui ne se dégonfle pas.
J'étais perdu ! Le clergé, qui court à toutes jambes depuis un bout de temps, voulait m'excommunier et même Frigide Fardeau, qui veille sur ses proches, les testicules des animaux morts (auraient-ils donc une âme?), prenait ses distances avec moi : je lui avais envoyé une couronne mortuaire pour les canards qu'elle avait bouffés dans un resto gastronomique et astronomique de Paris, et l'avaricieuse m'avait refilé son dessert : la douloureuse du repas.
Malgré tout, j'estimais être un bon nègre ! Petit bémol, côté fric : j'avais besoin d'un sérieux remontant pour éviter me faire dépecer vivant par l'usurier qui me poursuivait de son amour obsessionnel. Je comptais sur la force de ma libido pour me tirer d'affaire. J'étais quand même optimiste bien que ma sœur Anne (ma muse) n'ait pas vu poindre la moindre jeune fille exploitable à l'horizon. Que devais-je faire ? Soulager les vieilles femmes riches ? Elles veulent nous faire payer leurs chirurgies plastiques ! Extorquer les avocats les plus véreux? Le Barreau les recouvre de son hypocrite manteau ! Téter les vieux ? Ça fait fondre la succession ! Kidnapper un millionnaire? C'est risquer de se faire doubler par des policiers ripoux ! Torturer un Père missionnaire ? L’Église applaudit les martyrs ! Faire de la peine à Mémé ? C'est risquer de se faire cracher dessus par la Société protectrice des animaux. Enfin, il y avait cette fameuse épée de Damoclès suspendue au-dessus de ma personne qu'on avait mise à prix et le compteur de mon gérant italien tournait plus vite que Katérina, ballerine et libertine du Bolchoi, qui vire comme une toupie autant dans le lit que sur la scène ! J’avais beau examiner l’équation dans tous les sens, la gélatine de mon cerveau figeait comme le fleuve Saint-Laurent au mois de février. J’eus soudain une idée renversante comme celle de Saint-Paul tombant en bas de son cheval : pourquoi ne pas fonder ma propre religion ? Dans notre société capitaliste, œuvrer comme pasteur, c’est payant, c’est bien vu comme profession et ça attire les enfants mineurs en autant qu'on fournisse les bonbons ! Frappé par cette évidence, je m’installai dans un parc en débitant avec ma voix de stentor un premier sermon pour attraper des poissons. Ce n'était pas le sermon de la montagne, car j'étais en terrain plat. Cependant, je mis toute l'énergie du diable à éructer que j’étais plus pauvre que Job, qui, lui, avait un tas de fumier ! Et quand on connaît le prix de cette denrée, on a du respect pour la religion !
À ma grande surprise, une foule de gens intéressés par mes propos éthyliques sur le dieu Parminou, mon nouveau Guide céleste, se pressèrent autour de moi. Je déposai mon chapeau par terre et, en moins de deux, il se remplit d'argent aussi vite que les corbeilles de pain de Cana, sans que je ne sois obligé de soûler mes invités comme le divin maître.
Mon avenir rosissait comme les fesses d’une fermière devant le soleil féroce de juillet !
Parminou (mon mentor céleste) est bon, me dis-je; il m’a fait découvrir ma vraie vocation, celle de prêcheur. Gonflé, superbe et macho comme un cardinal romain, j’affirmai à mes auditeurs qu’un curé sans église était comme une putain sans son Jules ; il lui faut un lieu pour dire la messe, un endroit pour confesser et un lit pour forniquer (j'ai dit cette dernière remarque en latin pour ne pas trop ouvrir mon jeu et faire comme les prêtres catholiques). Lisant dans leurs yeux qu’ils ne voulaient pas m’abandonner, je leur jurai qu’ils pouvaient sauver leur âme en me donnant encore plus d'argent qui servirait à construire cette belle cabane ultramoderne avec toutes les commodités. Un vieux malcommode, pour me tirer la pipe, me demanda quel serait le nom de ce nouveau lieu de culte puisque tous les prénoms étaient déjà vampirisés par l'Église catholique ! Éclairé par la lanterne de Parminou (qui n'éclaire pas beaucoup, faut croire), je répondis qu'il s’appellerait Le Temple surnaturel de Jules et Jim et qu'il serait à vocation bisexuelle. En combinant les prénoms de ces deux gigolos, j'attirais à la fois les fans de Jules et les adorateurs de Jim. « Quel sera votre nom de pasteur ? », insista mon vieux christ. « Je vais m’appeler le Pasteur Non-Pasteurisé, plus blanc qu'une pinte de lait, plus pur qu'une bouteille de vodka et plus sec qu'un vin médiocre de Californie », dis-je à mes paroissiens assoiffés.
Tout fonctionnait à merveille, mais pendant que je collectais l’argent de cette quête spéciale, un vieillard m’annonça que sa douce était morte de façon violente dans un salon de bronzage. La technicienne de service, au lieu de la faire bronzer avec la recette du soleil de Tahiti, l’avait fait rôtir en suivant la recette du porc doré d'un grand chef musulman. Elle s’est bien aperçue que de grosses gouttes de graisse s'écoulaient le long de son corps, et au lieu de se demander si elle n’avait pas forcé un peu la température, la chère idiote consulta les instructions qui, malheureusement comme cela arrive très souvent au Québec, étaient rédigées en anglais. Avant de recevoir la traduction de l’Office de la langue française, en douze copies certifiées, sa vieille avait déjà entièrement brûlé. La technicienne proposa de livrer cette carcasse aux clients d'une pizzeria toute proche, mais elle fut refusée parce qu'elle n'était pas Italienne de souche et que la sauce était trop brune. Aussi, on envoya tout le paquet encombrant au salon funéraire où le prêtre catholique de service, allumé comme un cierge, récita les prières d'usage.
Le vieillard, en vérité, était bien content de se débarrasser de sa vieille momie, mais il aurait préféré un dénouement plus naturel. Les remords le tenaillant, il vint me consulter et me demanda combien ça coûterait pour que sa vieille soit expédiée directement au paradis ? Sachant qu'il avait un gros bas de laine, je lui dis : « Avec un dépôt de cinq cent mille dollars transféré directement dans mon compte, elle ira tout droit au paradis sans transit par le Purgatoire et sans transit intestinal, j'en donne ma parole de Pasteur Non-Pasteurisé. » Le vieil homme trouvait la somme impressionnante, mais comme il avait un très gros bas de laine et des remords plus gros encore, je l'ai convaincu que seul le montant réclamé parviendrait à apaiser sa souffrance morale. Il accepta ma proposition. Je me rendis donc au salon funéraire, et après avoir fait mijoter une prière de mon invention, j’assurai mon vieux fidèle que sa chère femme, même si elle sentait encore le brûlé, était déjà rendue au ciel, j’en avais la preuve ; j'entendais toussoter le bon Saint-Pierre qui réagissait à l'odeur du rôti et mon ordinateur portable avait craché de la boucane blanche et de la poussière quand j’avais décliné sur le clavier le nom de baptême de la vieille. Le vieux charbonnier, ignorant que mon ordinateur rendait l'âme, goba cette explication, et dans les jours qui suivirent, son notaire me remit l’argent convenu, soit un demi-million de beaux dollars, tous honnêtement gagnés. L'officier public, sachant que j'étais plein aux as, me fit promettre de ne pas courtiser sa femme qui avait la fâcheuse manie d'écarter les jambes devant un gros paquet d'argent (joli défaut!), et de ne pas insister pour demander en mariage sa sœur maigrelette, âgée de quatre-vingt-cinq-ans, encore vierge et névrotique. Le salaud exigea en plus que j'appose ma griffe sur un document légal le dégageant de toute responsabilité.
Grâce à ce joli paquet d'argent, je pris un vol pour revenir à Montréal avec l'intention de me la couler douce un certain temps. Il faut dire que les étrangères que j'avais rencontrées m'avaient coupé le sifflet. J’avais hâte de renouer avec les Québécoises qui aiment le sexe, et qui respirent le naturel et la liberté. C'est du moins la prétention des jeunes féministes québécoises qui font la queue devant les bureaux des gynécologues.
Une brunette aux mèches roses et fofolles me tomba dans l’œil dès mon arrivée. Je la baptisai Flamant Rose, en l'honneur de mémère Teresa, qui voyait l'univers en rose, et que le pape polonais avait réussi à dompter, même si elle avait la fesse rétive et le caractère farouche. Voulant faire l'imitation du pape (à défaut de faire l'Imitation de Jésus-Christ), je décidai d'apprivoiser ma greluche rose. J’estimais (un homme se trompe rarement!) que je serais comblé si je vivais avec mon Flamant Rose comme animal de compagnie en privé, et comme parure en public. Y a-t-il d'autres femmes que Frigide Fardeau pour faire preuve d'un pareil désintéressement ? Cependant, dans l'immédiat, je devais résoudre un petit problème personnel qui affecte les messieurs quelquefois au cours de leur vie ; j'avais la queue qui brûlait et je ne pouvais pas compter sur les pompiers de Montréal, qui nous ont fait défaut tellement de fois, pour éteindre la blennorragie que j’avais contractée dans l'avion Paris-Montréal en galopant dans les toilettes avec une allumeuse de métier, l'hôtesse en l'air, qui en avait allumé bien d'autres en suivant son plan de vol régulier ! Comme l’agence de voyages refusait de couvrir les frais de mon traitement médical, je poursuivis la compagnie d’aviation pour cruauté envers un passager. La poursuite crasha parce que je ne pouvais prouver l'intention malicieuse de l'hôtesse en l'air, qui me fit à la fois un doigt levé et un doigt mal élevé ! Craignant que mon petit capital, encore intact, ne fonde en frais d’avocats aussi rapidement qu'un bloc de vierges fond sous le maquereau, je résolus de laisser tomber l’affaire. Mais l’affaire ne me laissa pas tomber. Les infections se succédaient à un rythme d’enfer. Je n'eus d'autre choix que de plaider à Flamant Rose que si je ne la touchais pas, c'est parce que je la respectais comme la Sainte Vierge. Elle entra dans une sainte colère ; elle trouvait humiliant de se faire comparer avec une inconnue, venue de nulle part, qui trompe son mari avec un coureur de jupons notoire, venu directement du ciel (alors qu'il arrivait du bordel), qui se fait appeler « Esprit-Saint », et qui, de « l'Esprit » , a surtout l'esprit présent (celui d'avoir flairé la bonne affaire) ! À regret, elle accepta de mettre le couvercle, pendant un certain temps, sur mon ardeur sexuelle si j'apprenais par cœur (c'était une sacrée vicieuse !) toutes les statistiques de l’équipe de hockey minable locale, les Chaudrons de Montréal. Ainsi, au lieu de lui susurrer des mots d'amour, que du reste je ne croyais pas comme tous hommes, je lui récitais en guise de placebo les dernières statistiques du club poche de Montréal qui (avalez, chers amateurs, la pilule) croupissait dans le fond du classement. Et comme Flamant Rose avait de la suite dans les idées, me voilà, un bon samedi soir, à l'asile du Centre Bell de Montréal, au milieu d’une foule de surexcités et de débiles mentaux venus du Québec profond, prêts a payer un prix complètement fou, pour roter de la pisse Molson en voyant perdre l'équipe majoritairement anglaise. Après la première période, qui m’avait paru plus longue que la crosse d'un évêque (au propre et au malpropre!), mon Flamant rose, bondissant soudainement de son siège, dit : « Je veux faire une déclaration. » « Pas question ! », lui répliquai-je en la pressant de se rasseoir, car nous ne sommes pas mariés ». « Penses-tu , pauvre idiot, cracha-t-elle en cherchant visiblement la confrontation, que seules les femmes mariées ont des droits ? Nous, les femmes célibataires, nous avons plein de choses à dire. » (Pour avoir des choses à dire, gagez, messieurs, qu'elles en ont?) Comme j'ai reçu une belle éducation catholique avec récitation du chapelet chaque soir à sept heures, douches d'eau bénite froide, bouffes aux hosties sans cholestérol, sermons sous hypnose et assurance de mort avec extrême-onction, c'est dire que j'en ai avalé des couleuvres... De sorte que j’ai appris aussi à ne jamais contrarier une femme en public...(C’est comme fouetter un enfant de chœur en plein congrès eucharistique, il paraît que c’est très mal vu par la Société protectrice des cardinaux !) Alors, je l'ai laissé parler. Flamant rose sortit de sa sacoche un document qu’elle commença à lire devant les personnes de ma section : « Je déclare solennellement que je ne suis pas une « fille de rien ». Les gens autour de moi me regardaient avec suspicion. Surtout les femmes qui m'avaient à l’œil. Je répondis : « Bien sûr, ma chérie, tu n’es pas une « fille de rien », je sais très bien que tu n’es pas une « fille comme ça ». « Je ne suis pas une « fille comme ça », non plus ! » « C’est évident que tu n’es pas une « fille comme ça » puisque tu n'es pas une « fille de même » ! » « Toi, le brillant diplômé en français de McGill university, ne ris pas de moi, l’heure est grave, car nous allons peut-être nous séparer. » « N’anticipons pas sur le reste de la soirée, ma belle », grommelai-je. « C’est ça, prend moi pour une tarte ! » Quand je vis qu’elle entartait notre belle langue française pour me ridiculiser et qu’elle s'apprêtait à peindre en public le tableau craquelé de mes malheurs, je pris une profonde respiration et je me levai tout droit avec la dignité d’un cardinal, emmêlé dans son cache-sexe, qui s'agrippe à sa crosse comme un noyé s'accroche à une bouée de sauvetage. Je lui dis nonchalamment que j’avais oublié de fermer à clé les portières de mon automobile et que je craignais de me faire voler. Comme nous étions venus en métro, Flamant rose fit une moue de scepticisme qui dénotait un soupçon d’intelligence. Bon joueur, je la félicitai pour sa perspicacité. Et comme j'avais envie de me rendre prier à l’Oratoire Saint-Joseph pour faire guérir par le Frère André ma maladie vénérienne, je l'abandonnai froidement comme Frigide Fardeau va abandonner, à son décès, ses amis les bêtes, qui lui en seront très reconnaissantes !
Je connaissais la réputation de l’Oratoire qui avait remonté dans l’échelle de Richter des lieux de pèlerinage grâce à la réputation du Frère André, le portier de l’institution, qui venait d’accéder à la liste réputée des saints et des dangereux. J'ignore toutefois sous quelle catégorie, il était classé.
Pour entrer dans ce temple chrétien, je devais au préalable monter un escalier, plus haut que l’échelle de Jacob, mais moins dangereux que l’échelle des bas de soie de la belle Portugaise cinglée qui montait à genoux chacune des marches en disant des vacheries au bon Dieu. Rendue en haut de l’escalier, la folle bestiole se mit les bras en croix. Elle embrassa tout Montréal d'un seul regard et, faisant un doigt d'honneur et quatre autres de déshonneur à la cité, elle bénit le ciel de lui avoir foutu les genoux en sang. Quand j’ai vu qu’elle était dérangée à ce point, je ne puis m'empêcher de la prendre pour moi, avant qu'un brave curé ne la prenne pour lui, disant l'avoir vue en premier. Me drapant de ma cape de Tartufe, je lançai la conversation sur les mystères divins. La beauté des mystères divins, mes chers amis, c’est précisément qu’ils sont mystérieux. Personne ne les connaît, donc personne ne sait de quoi il divague. En somme, ça permet d’attirer la poule sans qu’elle sente la présence du renard !
Cette Portugaise de choix, bien en chair, moins ronde que la tonsure d'un moine, avait des appâts évangéliques qu’aucun chrétien n’aurait dédaignés. Tout était bon chez elle, particulièrement la chair blanche. Et comme on choisit l’aile ou la cuisse lors d’un repas au resto le dimanche, je regardai le menu, et je fis sentir à la belle qu’elle avait affaire à un fin connaisseur. Naguère, de nombreux prêtres s'étaient aventurés à la séduire, mais comme ils manquaient d'éducation et de doigté, ils avaient échoué tout près du but, tant la mouche était farouche ! Visiblement, ils avaient pris pour modèles les cardinaux qui fréquentent les bordels de Rome ! Avec moi, elle craqua dès qu'elle me vit faire une génuflexion pleine de savon sur un prie-Dieu au tissu rugueux, et en même temps, mitrailler, dans les dix secondes réglementaires, cinq « je vous salue Marie... couche-toi-là ! » Le miracle était accompli ; elle accepta mon invitation de prendre un café. Auparavant, catholicisme oblige, elle devait aller roter son rosaire, se confesser et faire son chemin de croix ; la routine religieuse quotidienne d'une gymnaste de Dieu pour compléter ses échauffements spirituels !
Bon prince, je l'accompagnai dans son chemin de croix, et quand le Christ fit une troisième chute, je jurai à ma poule que ce n'était pas moi qui l'avais fait trébucher. Cela resserra le corset de sa foi. Je contemplai les vitraux et les tableaux accrochés aux murs de la chapelle qui démontraient que les catholiques ne sont pas tous des fauchés. En lisant la brochure offerte aux visiteurs, je tombai sur un texte consacré au Frère André. Sa réputation de vendeur d’huile m’était connue, celle de l'homme prude me l'était moins. J'appris qu’il avait l’habitude de demander aux femmes qui entraient dans l'église d’enlever leur chapeau et de couvrir leurs chastes épaules d'un châle pour ne pas offenser le Seigneur (comme les taureaux deviennent fous de rage en voyant du rouge, Dieu perd les pédales en voyant le blanc des épaules des sautées). Frère André avait sa petite théorie personnelle : il prétendait qu’en priant Saint-Joseph, le roi des cocus, et en se graissant d’huile sans se frotter le gazon, les dames se mettaient en meilleure position pour accueillir des miracles. Humble serviteur, Frère André, ne s'attribuait pas tout le mérite de ces guérisons ; il les imputait au cocu Lui-Même suivant le précepte « quand on est valet, on n’est pas roi ». Et grâce à ce montage habilement huilé, l’Oratoire vendait plus d’huile dans la métropole que les pétrolières. Même en plein été, période habituellement creuse, les compagnies d’huile faisaient des affaires d'or. L’argent coulait à flot dans les coffres de l'Oratoire et les prêtres se gavaient comme des cochons. Apparemment tout baignait dans l'huile...
Mais un jour, grand malheur pour la communauté religieuse, le Frère André que l'on croyait immortel, fut appelé dans l'au-delà par le divin maître pour rendre compte de ses activités graisseuses. Les affaires périclitant, ici-bas, en son absence prolongée, la Confrérie de l'Oratoire décida de mousser sa candidature pour en faire un saint et la brochure que je lisais en ce moment même mentionnait qu'il ne manquait plus que trois voyages de camions d'huile pour que le Frère André soit considéré comme saint. Voilà le vrai miracle de l'Oratoire !
Après le chemin de croix, je concentrai toute mon attention sur ma belle Portugaise que je souhaitais ajouter à ma collection d'icônes . En guise de préparation, je l'amenai dans un petit resto dirigé par des Québécois. Je tentai alors une opération hautement risquée ; celle de glisser ma main sur sa cuisse en direction de sa tourtière du Lac Saint-Jean. Son étonnement fut total, de même que son abandon ! Après un détour par Alma pour voir Lucien Mouchard et un arrêt à Chicoutimi pour prier avec le maire, j’arrivai enfin à la cible de l’opération : sa belle petite culotte blanche. Pour éviter qu'il ne commence à neiger et que la tempête ne prenne de l'ampleur, elle s'empressa d'aller trouver refuge au petit coin. Cet endroit, thème populaire de nombreuses thèses en psychologie, permet aux dames, en position délicate, de refroidir leur libido et de se ressaisir avant de retourner dans la zone dangereuse : elles ajustent l'épaisseur de leurs crèmes, corrigent la ligne de leurs paupières, rajoutent quelques gouttes de parfum (quand ce n'est pas le flacon au complet)... en un mot, elles se font « belles » pour mieux se croire belles et ferrer leur proie ou, au contraire, elles en profitent pour calmer leurs hormones et filer à l'anglaise sans devoir donner d'explications à un prétendant trop audacieux. Ma Portugaise avait choisi cette dernière option : elle partit sans demander son reste, me laissant seul comme un chien à méditer sur la mort du Christ et sur les grands miracles du Frère André.
Sale coup de couteau ! Revenu bredouille dans mon propre territoire de chasse, mon estime personnelle dégringola comme si toutes les marches de l'Oratoire s'étaient effondrées dans un tremblement de terre. Je rasais les murs de la métropole et je ne me rasais plus. Bref, j'étais en pleine déprime lorsqu'un sans-abri, qui était sûr de m’avoir vu fouiller dans les poubelles et qui voulait encourager un confrère, me dit : « Man, réveille-toi, tu fais du lard ! Fais comme moi : avale tes crottes, bouffe tes poux, régale-toi d'une couple de rats, pas trop gras, avec le montant de ta prestation mensuelle, et fonce dans la vie ! Si tu te nourris dans les poubelles, c'est que tu es un gagnant ! (je n'avais jamais vu ça sous cet angle). Et même si ton allure n'augure rien de bon, fais tatouer sur ta poitrine en grosses lettres : « Je suis un BS ! » Et tu vas voir toutes les « belles dames » bouffies par leur maquillage, avec vêtements griffés et cul sublime, qui, au lieu de te mépriser (elles qui se font vivre par leurs amants ou sont en couple parce que leur conjoint a de l'argent), vont se retourner sur ton passage, se jeter à tes pieds, rouler des « rrr » montréalais, et se rouler par terre avec volupté comme si tu représentais le tapis rouge des Oscars en criant comme des groupies : « « Oscar ! », « Oscar ! », « Étends sur moi ta renommée ! » Au même moment de l'autre côté de la rue, tu verras déambuler, fièrement drapé dans une longue cape blanche en soie, un gros porc de fonctionnaire, gras, puant et cave, requis d'urgence pour te couper ta prestation mensuelle, qui va entrer au ministère avec deux heures de retard. Tu vas lui crier : « Gros porc ! », « Sale porc !», « Qu'as-tu fait de ma prestation ? » Il te répondra :« Est-ce que je suis responsable de mon frère ? » Et il t'enverra une belle lettre te demandant de rembourser tout ce que l'État t'a versé à ce jour ! » « Est-ce ça la vie ? », lui demandai-je. Le sans-abri se réfugia dans le silence.
J'ai compris qu'il y avait beaucoup de lucidité et d'expérience vécue dans ces propos et que nous vivions dans une société égalitaire (« de droit », proclament les pleins). C’était le discours le plus pertinent que je pouvais souhaiter pour me sortir de ma léthargie. Il venait de la bouche d'un homme humble, de ceux que l'on méprise. Tel un homme d'affaires, je lui répondis chichement : « Man, si jamais tu as besoin de t’acheter du savon, je t’en paye le quart, je te le jure ! » « J'espère au moins que ça ne va pas te casser ! » dit-il, en marchant sans se retourner.
Ce qui accroissait mon angoisse et faisait bouillir ma pression, c'était le fait que mon fameux gérant de banque italien ne me donnait aucun signe de vie. Quand un vrai mafioso néglige de se rappeler à votre souvenir, les problèmes s'en viennent. Je n'oubliais pas que ce salaud avait mis un contrat sur ma vie et que les Italiens de fraîche crapulerie ont la fâcheuse tendance à faire de la saucisse au fromage avec leurs ennemis. Je m'attendais à recevoir, un jour ou l'autre, un coup de poignard dans le dos, suivant l'éthique de cette société.
Les jours s'écoulaient et je ressentais une certaine lassitude, celle de celui qui a un peu de pognon pour se la couler douce, mais pas assez pour faire la bombe en compagnie de la Jet set. Honnêtement, ce contrat sur ma vie me donnait la chienne.
Je décidai alors de m'aérer l'esprit en faisant une demande pour un emploi, pas trop exigeant, très bien vu, et fort bien payé. Propre comme un sou neuf et revêtu d'un complet de soie (à cause de mon estime de soi), je me pointai à Radio-Canada, la société qui prétend défendre la langue française, tout en faisant la promotion du bilinguisme : cela s'appelle « tricoter » et « détricoter » en même temps !
J'avais comme intention louable de devenir célèbre et faire chier mes concitoyens avec un gros salaire tenu secret, bien que payé avec les taxes des Québécois. Un serf de service me reçut en français, la langue seconde de l'institution. Il me conduisit auprès du directeur du personnel, un grand efféminé taillé dans le satin, au visage boutonneux, et au langage coulant comme le nœud du pendu. Jetant un bref coup d’œil sur mon curriculum vitae, il m'affirma avec contrariété que ma demande ne répondait pas aux critères de la Maison. Je croyais pourtant avoir bien rempli le formulaire, quand il m'expliqua que pour entrer à Radio-Canada, je devais répondre à l'une des trois conditions suivantes : avoir une matante comme répondant, produire un testament en règle en vertu duquel le poste convoité m'est légué personnellement par feu son titulaire ou, troisième condition, prouver de façon irréfutable que j'étais publiquement sorti de la garde-robe. « Une matante, poursuivit-il, c'est un titulaire actuel d'un poste à Radio-Canada qui appuie votre candidature, en déposant entre mes mains une enveloppe généralement brune. Un héritage en règle, c'est celui par lequel vous perpétuez la personnalité juridique du titulaire d'un poste à Radio-Canada (remarquez que j'ai personnellement des doutes sur l'éthique de ce procédé, mais ça fonctionne bien en ce lieu). Enfin, troisième possibilité : vous êtes sorti de la garde-robe récemment et le public en a été informé. Sans l'une de ces trois conditions, votre candidature passe à la trappe. »
Ne rencontrant aucun de ces trois critères, je sortis dignement de cette auge fédérale de gens bien nourris par nos taxes québécoises. Cette démarche m’avait indisposé physiquement et moralement, mais je savais au fond de moi que je valais plus que ça.
J’entrai ensuite dans un super marché m'acheter une boisson gazeuse pour me désaltérer. En attendant de passer à la caisse, j’engageai la conversation avec une jeune fille à lunettes, l’air intellectuel, en train de lire une pièce de théâtre. J’appris qu'elle étudiait en art dramatique et je respirai dans ses cheveux des embruns de mer et de sels sauvages, en provenance de la Gaspésie ; ces parfums de liberté contrastaient avec l'air vicié de la Maison de Radio-Canada ! J'engageai la conversation avec Marie-Paule, c'était son nom, une jeune fille sympathique qui étudiait en art dramatique et qui s'en allait à ses cours. Elle me dit avec toute la candeur de ses dix-huit ans que ma compagnie lui était agréable, et comme je n'avais rien à faire, elle me proposa de l'accompagner à l'université.
Dans la salle académique, un acteur français dispensait aux talents locaux sa conception du théâtre : « Le théâtre, pontifiait-il, a besoin de lumière : c’est essentiel pour y voir clair ! Alors, posons la lumière dans cette pièce : je la mets par terre derrière mon gros cul de paon vaniteux pour qu’elle l'éclaire dans toute sa splendeur. Admirez mon beau cul ; c'est celui d'un Sociétaire de la Comédie Française ! Au lieu de mendier mon pain dans la rue, en tant que sociétaire, je mange aux frais de mes compatriotes dans les meilleures tables de Paris. J'ai apporté pour étude la pièce « L’annonce faite à Marie-couche-toi-là ! », c’est la première version, la version hard, qu’a faite Claudel avant d'être foudroyé, derrière une colonne à Notre-Dame-de Paris, par la grâce de Dieu qui avait absolument besoin des lumières de ce dévot. Le grand écrivain, secondé désormais par Dieu lui-même (qui, c'était génial, ne réclamait pas de droits d'auteur) recomposa sa première tartine qu'il rebaptisa simplement « L'annonce faite à Marie » ; titre anodin, angélique diront certains, qui généra beaucoup de fric et accrut la foi et l’ego du grand auteur. Pour ce cours, nous étudierons cependant la première version, la version hard, « L'annonce faite à Marie couche-toi là ! », car ce Claudel me fait chier puisque je suis obligé de me taper la version évangélisée vingt fois par année, et « j'en ai ras-le-bol ! », même si elle adoucit les fins de mois du vieil acteur que je suis. »
« Mes enfants, maintenant que la lumière est bien posée, je demanderais aux femmes présentes de se mettre à poil. On ne peut pas réussir comme actrice sans dévoiler son corps, c'est une loi non écrite, respectée par tous les réalisateurs et producteurs modernes. Celles qui ont le corps gras et adipeux, quittez immédiatement la salle et allez vous faire dégraisser par les bouchers de la chirurgie plastique, vous ne méritez pas mieux ! Vous, la grosse, dans le fond de la scène, ne trichez pas : « Oui, vos cent vingt kilos nous feraient oublier votre talent d’actrice. Dommage pour vous, vous avez une belle voix, mais je dois vous renvoyer, car le public va rire en voyant que vous ressemblez à une montgolfière et que je n'ai pas de permis de piste d’atterrissage ! Et vous, là-bas, la petite échalote, ne vous cachez pas derrière votre perruque, vous me tapez sur les nerfs ; vous avez l’air aussi pincé que les cordes de clavecin d'une employée de Radio-Canada ! Déguerpissez, vulgaire fausse note ! »
Le couperet du grand acteur avait épargné Marie-Paule, ma petite à lunettes, maigre comme le fonds de pension d'un écrivain. S'étant dénudée, le maître lui suggéra de lancer quelques répliques. Elle s'apprêtait à les lancer quand le sociétaire lui dit: « Faites attention en lançant ces répliques, si vous y allez trop fort, vous vous allez finir par tuer une mouette et vous risquez, maladroit, d'abattre celle de Tchekhov.
Ensuite, sous prétexte de lui placer la voix, il posa ses mains directement sur ses seins qu'il tripota avec tellement d'insistance (ça ressemblait à du vrai théâtre) que la petite, encore confuse et désorientée, mais pas folle, dit : « Merci, monsieur le curé ! », et se souvenant de la prose de Simone de Beauvoir, elle lui appliqua un bon coup de pied dans la zone sensible pour la fierté masculine et la santé mentale, de sorte que le bel étalon eut le souffle coupé. Vaincu, il pleurnicha : « Puisque ces dames sont réfractaires à l’art dramatique, je donne ma démission. J’enverrai tout de même ma note de frais par mon avocat ; elle sera chiante, car il est Français, et il vient tout juste de découvrir que sa maîtresse couche avec un confrère. »
Si ma petite à lunettes avait du cran, elle avait en plus le crin de l'épouse parfaite. Je l'ai invitée à venir visiter mon appartement, et au lieu de se réjouir de la beauté du nid d'amour et de la salle de jeux que je l'invitais à partager, elle dit bêtement comme ça : « Vous, les hommes, vous êtes tous des salauds ! Tout ce que vous voulez, c'est nous baiser ! Vous n'êtes qu'une bande de jouisseurs ! »
Elle avait dévoilé son vrai visage : elle voulait jouer la fine mouche devant l'Homme ! Ces étudiantes sont plus difficiles à dompter que les chevaux sauvages ! Et puisqu'elle n'était plus la poupée idéale pour moi (je cherchais une Barbie pour la promener au bout d'une laisse dans les salons), je lui signifiai que les deux mille Ave que j’avais commencé à réciter avec ma petite portugaise, lors de mon passage à l'Oratoire Saint-Joseph, alimentaient mon anxiété et surtout ma culpabilité. J'ai réalisé que je ne pourrais plus me regarder devant un miroir, si je ne m’exécutais pas séance tenante. Une promesse au Bon Dieu, c’est une promesse au Bon Dieu ! Ma belle Marie-Paule à lunettes, qui au fond était une pudique du cœur, me demanda si, en réparation de la peine qu'elle m'avait causée, elle pouvait offrir son temps de loisir à faire la lecture des œuvres du Marquis de Sade à mes petites nièces. Je lui répondis qu'elle m'avait tordu le cœur et que je ne pouvais, même en bon chrétien, accepter sa proposition. Nous nous quittâmes en bons catholiques : elle me permit de frotter, en signe d'adieu, sa petite culotte, et m'assura qu'elle allait prier le Frère André pour qu'il me débarrasse enfin de ma chaude-pisse.
Souvenir éprouvant de ma vie : jamais je n'ai pu encore réciter tous ces Ave ! Cela me remue encore à ce point que je consulte un confesseur qui m'impose comme pénitence de ne pas regarder les jambes des femmes plus haut que les genoux, suivant les techniques de visualisation mises au point par les brillants théologiens du Vatican. Ces techniques sont plus excitantes que des cours de sexologie, car il y a des stages pratiques chez les jeunes filles mineures et naïves (on apprend comment les attirer avec des bonbons), et en plus dans le courrier on reçoit la photographie de la catholique la plus prude du mois (des fois, on a des surprises quand elle est habillée!). On apprend aussi les meilleurs trucs pour observer des miracles avec comme récompenses de pouvoir déculotter des sœurs, de manger la cerise des postulantes et de partager la couche des novices.
Seul comme le ver solitaire, rejeté par toutes les femmes, pour me remonter le moral, je décidai de tenter un coup d'éclat : séduire la vieille relique qui travaillait comme bonne dans ma paroisse. Autrement dit, ma conquête finale serait la bonne !
Ma rencontre avec cette pierre précieuse eut lieu lors de la veillée des cierges pascals quand le célébrant prépare le saint chrême suivant une recette culinaire séculaire
en le mixant avec de l'eau bénite. Cette sainte pisse sert à bénir les ivrognes et à requinquer les mourants, qui, comme on sait, meurent quand même ! L’église conseille également l'usage de cette eau pleine de vertus à tous ceux qui, en général, mènent la vie plate des catholiques. Certains la boivent avec de l'alcool (beaucoup d'alcool!), d'autres la prennent comme laxatif, au lieu du sermon du dimanche.
Cette bonne, qui était dans les bonnes grâces du curé, avait déplié délicatement son gros cul de percheron sur le banc des marguilliers en avant de l'église pour lui donner un peu répit. Comme j'ai toujours aimé les défis et désiré me taper une grosse, je m’avisai d'encanailler cette vieille fille, plus ronde qu'une boule de billard, plus pure que l'eau d'érable, avec comme objectif de semer dans son cœur sec un grain humide d’amour et de poésie qui lui feraient croire que je l’aimerais éternellement. Beau programme ! Belle mystification en perspective ! La belle émue par ma présence me fit une moue vertueuse. J’étais bien décidé à lui labourer le gazon, zone mise à l'Index, et à lui promettre, pour arriver à mes fins, le mariage, la robe coûteuse, et même le fameux voyage de noces à Rome pour voir les sous-vêtements transparents du pape. Je me méfiais de la conclusion de la fable « Perrette et le pot au lait », aussi, je jouai prudemment mes cartes. En m’avançant vers la table de communion, tout en regardant innocemment le plafond pour recevoir l’hostie sacrée, je fis glisser discrètement ma main sur les fesses de la vieille relique, question de jauger ses réflexes moraux et tester ses principes. Croyant qu'un miracle venait de se produire, la bonne me gratifia d'un sourire évangélique. La barrière était ouverte pour d'autres jeux possibles. Je lui glissai à l’oreille que je l’attendrais sur le parvis de l’église à la fin du spectacle religieux.
Nous voilà donc sur le perron tous les deux ; elle, avec son gros cul de cheval, et moi, avec mon lance-flamme en position de combat ; on était faits pour s’entendre comme on dit dans les agences de rencontre quand on réussit à accoupler deux sans-allure ! Puisqu’il ne faut jamais mettre la charrue devant les œufs (ça fait baver l'omelette), je l’invitai à communier au spectacle grandiose de la Lune qui ce soir-là, signe du ciel, brillait comme les testicules du Bon Dieu (un peu de poésie dans la nuit ne nuit pas au récit !). En lui soufflant à l’oreille des mots gentils comme « ma poule au nez dégoulinant », « mon affreuse calomnie » , « mon épouvantail à puceaux », « ma biche hérétique », « ma cracheuse de litanies » que j’accouplai avec des gestes indécents, j’allumai la mèche de ses désirs enfouis au plus profond de son subconscient (j'ai lu Freud, vous savez!). La vieille au comble de l'excitation était prête à exploser comme la chaudière surchauffée d'une locomotive à vapeur. Elle me dit que je la rendais heureuse, mais que seul un contrat nuptial la comblerait de joie. Je devrais signer un contrat, avec deux singes comme témoins, devant notaire, car, à son âge, elle ne pouvait subir, sans risquer l'accident cérébral, l'humiliation de la femme séduite et abandonnée, comme cela arrive si souvent dans les romans tordus. Elle demandait l'impossible ; c'est pourquoi sa proposition me plut ! Je lui ai répondu que tous les hommes étaient des salauds, mais je lui jurai que je ne me conduirais pas ainsi (j'avais l'intention de faire pire!). J'estimais qu'elle avait parfaitement raison de réserver son cul précieux pour ceux qui disposaient d'un certificat de bonne conduite : les autres, les aventuriers de la cerise perdue, les partis dans le vent et les partis pour la gloire, n'avaient qu'à faire comme Tintin quand il se branlait devant les crocodiles au Congo (c'est une version licencieuse de Tintin que l'auteur n'a jamais rendu publique !). Je m’engageai à signer ce contrat qui ne me coûtait presque rien, et qui pour elle signifiait presque tout.
Cependant, l'expérience m'avait appris que pour manger la cerise, il faut d'abord payer le gâteau. Elle eut alors une drôle d'exigence : celle de m'obliger de suivre avec elle des cours de préparation au mariage pour éviter de récolter, le soir des noces, des morpions ou des champignons de Jacqueline, de Fernande, de Lisanne ou peut-être même de Daniel ! J’acquiesçai. Puis (n'oublions pas qu'elle rongeait son frein depuis longtemps) elle insista pour connaître la méthode du Saint-Esprit pour devenir enceinte comme Marie, sans être obligée d’écarter les jambes. J'ai protesté vivement : « Ça va faire, gamine ! Est-ce que j'ai l'air d'un cocu ! »
Cette réaction virile la tempéra quelque peu. Elle contre-attaqua en insistant pour connaître cette fameuse sainte passe qui a permis de rouler Saint-Joseph dans la farine. Comme ce dernier n'était pas pâtissier, mais menuisier, il s'est fait varloper. Je fis un recul stratégique et je consentis, en me voilant les yeux, à lui révéler ce secret, seulement lors de la nuit de noces (lors de l'ennui de noces!), ce que, bien honnêtement, je n’avais nulle envie de respecter. La belle, croyant avoir affaire à un homme droit dans ses bottes, m’invita à prendre le café chez elle, en présence du curé, qui lui servirait de chaperon. Ce curé, avant de me laisser seul avec la promise, me fit l'avertissement suivant : « Monsieur, me dit-il avec respect, je vous laisse en présence d'une machine qui n'a pas fonctionné depuis très longtemps, je vous serais gré de ne pas essayer de la réchauffer en mettant vos mains dans sa brassière pour avoir un feeling d'été, ni (péché mortel) de lui entamer la tourtière : la garce pourrait s'emballer et le mariage serait compromis. » Cet homme si avisé (je l'ai appris à mes dépens) n'était qu'un sacré matou. Dès que j'allais fumer une cigarette à l'extérieur, il tripotait sans vergogne les seins de sa bonne. Preuve : je l'ai surpris, en revenant dans le salon, en train de palper la boule A et de caresser la boule B (je les distingue parce que j'ai étudié en géographie) dans le soutien-gorge de ma future. Dès qu'il me vit arriver l'hypocrite, il fit semblant de lire les psaumes de son bréviaire. Craignant que ça chauffe, il décida que notre première belle rencontre d'amour, entre la vieille folle et moi, était terminée.
Le lendemain, il me reçut en privé au presbytère et il me confessa que j’avais entre les mains une bonne fille, mise en réserve par l'église, car personne n'en voulait. Depuis une cinquantaine d’années déjà, les toiles d’araignée poussaient entre ses cuisses, mais puisque je recherchais une relique et que je n’avais pas la phobie des araignées, il acceptait (on verra pourquoi) de tisser les fils de notre bonheur.
Ce Tartufe, qui faisait semblant d'approuver ce mariage, voulait en réalité la garder pour lui, car il la trouvait bien « bonne » ! « Jamais, je n’aurais cru, pleurnicha-il, qu'un bon catholique serait fanatique au point de s'intéresser à ce jupon mal foutu ; je craignais devoir la céder aux protestants qui sont particulièrement vicieux, je vous prie de me croire. Quand je pense que ces impies comme la reine D’Angleterre, dans leurs loisirs, s'adonnent à la danse du poteau, je suis outré : jamais les catholiques ne sont allés si loin ! Sur un ton de confidence, il murmura : « Bien sûr, nous avons, nous aussi, nos perverses, mais l’Église s'en occupe en privé.
Il ajouta avec des trémolos dans la voix : « Aujourd’hui, voyez comme Dieu est bon ! il accorde à cette paumée le grand privilège de se marier ! À son âge ! N'est-ce pas miraculeux ! Monsieur, continua-t-il en baissant la voix, vous êtes un brave homme, et si vous adoptez un enfant un jour et que, par bonheur, c'est un petit chérubin, je veux être le premier prêtre à le chérubaniser : vous me devez bien cela, dit-il en citant un article du droit canon ! »
Le curé, même si la bonne sentait le pain rassis, garantissait sa virginité : « Elle est aussi pure qu'une relique et plus bleue qu'un fromage vieilli », confessa-t-il. Il soutint même qu'un avenir brillant flottait au-dessus de notre couche... de moutarde. Mais, avant qu’il n’ajoute une autre beurrée aux qualités de la dame, je lui demandai de régler l'affaire au plus vite, car je ne voulais pas me la faire chiper !
Mon cœur était pur, la suite va le prouver…
Un bon samedi, vers les trois heures, quand les cloches, avec leurs grandes dents crochues, croquèrent le silence de la paroisse Saint-Luc, à Montréal, notre mariage devint officiel. La réception se déroula bien, si j’omets de mentionner que trois des cousins de ma femme, venus de si loin pour sentir de si proche, vomirent sur le plancher de danse qui devint aussi glacé qu'une patinoire. Ma bonne glissa par terre et sa belle robe blanche se souleva, dévoilant ses cuisses d'une autre époque. Le curé, qui guettait cette occasion depuis le début de sa vocation, sauta sur cette offrande et consomma le mariage à ma place…
Loin d’être abattu, j’arborais le sourire du vainqueur : l’occasion était belle de feinter la déception et d'augmenter ma fortune pour devenir un vrai millionnaire cette fois-là.
Je fis appel aux meilleurs avocats véreux, ceux que le Barreau protège. Ils réglèrent l’affaire rapidement auprès des autorités ecclésiastiques, en menaçant de dévoiler publiquement que l'évêque entretenait un petit mignon, mignon comme tout ! L'évêque, pris les culottes baissées, n'eut d'autre choix que de faire payer par le diocèse les frais juridiques très élevés découlant de l'inconduite de se son curé !
Vous me direz que ma conduite éreintait l'éthique et que le Barreau aurait dû s’en mêler. Mesdames et messieurs, c'est un secret de polichinelle : le Barreau s’emmêle toujours ! c’est d’ailleurs ce qui fait son efficacité, et c'est la raison pour laquelle le public est si bien protégé !
Officiellement millionnaire, j’emménageai à la campagne pour l’été : j’en avais assez de sentir la puanteur de Montréal et la moisissure des petites culottes de nos prostituées, alors que, pendant tout l’hiver, elles sentent le frais.
Loin des escortes de la ville, je m'ennuyais à mourir à regarder pousser les fleurs.
Je fis un compromis : mes fins de semaine à Montréal, à lever la pute sur les terrasses et dans les restos débranchés ; le reste du temps à la campagne, à soigner mes blennorragies.
Un matin, en lisant mon journal, j’apprends que se tient un festival de poésie à Montréal, au mois d’août. Les colonisés culturels de la place qui organisent ce genre de manifestation pour enrichir leur curriculum vital, ont réussi à dénicher un quelconque poète français pour présider l'événement, et trouvé un poète québécois assez carpette pour agir comme vice-président. Que voulez-vous, dès qu'on touche à la poésie, ça prend un président frappé du sceau français et un tapis québécois.
Le chevalier des Muses, grâce à une tartine pécuniaire impressionnante, agrémentée d'une promesse de régal en femmes faciles, accepta de venir concélébrer ce festival d'illuminés qui ont tous leur niche dans l'anthologie des poètes québécois, sauf Claude Péloquin, notoirement absent, qui avait sans doute omis d'envoyer son enveloppe brune. Cette bible, reconnue par le milieu malgré ses choix éditoriaux douteux (les meilleurs textes des auteurs ne sont pas toujours en vedette), circule librement au Québec, preuve que l'on publie vraiment n'importe quoi.
L'élu du Parnasse, transporté par la poésie et par l'avion (on s'en doute), gonflé par l'alcool, arrive à l’aéroport local. Les photographes sont tellement nombreux qu'il se croit rendu au festival de Cannes et du fric fric quand il descend de l'avion et que le vice-président le reçoit à quatre pattes (réflexe du poète québécois !). Une hôtesse en l'air ou, si vous préférez, une travailleuse du sexe syndiquée, remet au voyageur un joli bouquet de fleurs sur lequel il vomit. Comme il trouve la femme jolie, au lieu de l’embrasser sur la joue, pour montrer sa belle éducation de fils d'aristocrate, il lui arrache son chemisier. La demoiselle, qui pourtant en a vu bien d'autres (c'est son métier), trouve que le voyage lui a fortement ouvert l’appétit. Ce dernier réclame alors, avec insistance, sa tétée et, essuyant un refus catégorique, pour se venger, il pratique sur elle le détroussage domestique. Des agents d'insécurité interviennent. Le poète les repousse en leur récitant à la volée du Cocteau dont l'effet est plus efficace que le poivre de Cayenne. Néanmoins, les surveillants se ressaisissent, le maîtrisent, et le revoient par le prochain avion. Les gens du festival appellent Radio-Canada pour raconter l'événement. Ils sont reçus à Tout le monde en parle. Et le Québec tout entier écoute. Moi, par dépit, je ferme mon téléviseur...
Le lendemain, le cœur en marmelade, je m'interrogeais sur le sens de la vie sur terre quand, sur la rue Sainte-Catherine, qui croisai-je ? Mon banquier italien en chair et en os. Ce bandit, plus pot de colle qu'un agent d'assurances, se rappelait m'avoir prêté trois mille dollars qu'il évaluait maintenant à trente mille, et se souvenait surtout que je le l'avais pas encore remboursé. Homme accroché aux menus détails comme une bigote à son scapulaire autonettoyant, il me suggéra d'acquitter ma dette, faute de quoi je serais en danger de mort.
Je me souvenais vaguement de lui avoir dit d'aller renifler les culottes de sa mama et d'avaler la queue de son chien homosexuel. Je lui demandai s'il avait suivi mon sage conseil. Comme il détestait la contrariété et qu'il avait la mémoire plus alerte que celle d'un boxeur professionnel, l'air ambiant s'alourdissait. Son macaque et garde du corps italien l'accompagnait, et le banquier, enhardi par la présence à son flanc de son gorille, me flanqua une gifle. Pour réplique, je lui en refilai une, encore plus fort. Il fit implora des yeux son macaque qui aussitôt sortit son revolver, et tira trois balles en ma direction. L'une d'elles me fut fatale. Je venais tout juste de mourir.
Premier acte après ma mort : l'embaumement. De toute ma vie, je vous jure que je n'ai jamais été aussi beau : à côté de moi, George Clooney aurait ressemblé à Lady Gaga. Je voulais féliciter le personnel de la morgue pour ma morgue, mais le directeur des pompes funèbres m'en dissuada, car m'a-t-il affirmé avec toute son expérience de croque-morts : « Un mort doit faire le mort ! C'est la règle. Veuillez respecter la tradition, monsieur Pique-Cerise, et fermez-là, je vous en prie ! De plus, je vous conseille de ne pas sortir de votre cercueil pendant la messe funèbre ; les gens pourraient croire à une nouvelle résurrection et un autre avant vous, assez connu ma foi, nous a déjà fait le coup ; une religion est née, et plusieurs milliers de fanatiques plus tard, on a eu les Croisades.
Deuxième acte : la messe funèbre. Quand l'église fut remplie de senteux venus constater ma mort, j'ai remarqué que les personnes des cinq dernières rangées sont sorties de l'église quand l'attention générale s'est dirigée vers la nef où le prêtre avait commencé son spectacle. Ces personnes curieusement sont toutes revenues à leur place vers la fin de la messe, après avoir pris un café au resto du coin, pour bien faire voir aux membres de la famille qui sortaient de l'église, qu'elles avaient bien assisté à la cérémonie. Cette pratique édifiante, m'ont dit les autres morts, est assez répandue.
Enfin, troisième acte : le cimetière. J'ai eu froid dans le dos quand les premières pelletées de terre furent lancées avec fracas contre mon cercueil. J'avais la preuve que j'étais bien mort. Mes dernières céréales me revenaient en mémoire : je revoyais ma première blonde et sa morve dégoulinante ; ma théologienne plus belle qu'une pute, sans être aussi salope que mémère Teresa ; la fille du gendarme et l'épreuve du suppositoire ; ma belle petite Turque et son frère qui lui collait au cul ; mon bas-bleu qui aurait raflé le Goncourt si seulement elle avait entrouvert les jambes ; ma petite Portugaise qui s'est enfuie avant que je ne lui tripote la tourte du Lac Saint-Jean, et ma vieille vache folle, sentant l'encens et l'odeur de vieux garçon du curé. Ma mémoire s'embrouille, mais c'étaient de vraies vacheries. N'ai-je pas écrit que la pédophilie est le passage obligé du séminariste vers la prêtrise, que les jeunes filles filent pendant que les prêtres pédophilent. Avouez, mes agneaux, que ce ne sont pas des choses qu'on raconte sur son lit de mort quand le prêtre nous enduit de l'extrême pisse, ni après le chapitre consacré aux histoires de fesses dans le Play-boy italien, qui s'appelle aussi l'Osservatore Romano ! J'avoue cependant que j'ai fait preuve de retenue pour ne pas troubler la paix et les bonnes mœurs dans les foyers catholiques. J'ai censuré mes céréales les plus graves : j'ai déjà fait accroire à une religieuse, complètement soûlée au vin de messe, en mettant ma queue dans sa bouche, qu'elle avalait un ostensoir ; j'ai regardé avec délectation le spectacle d'un cardinal respectable qui enculait un enfant de chœur dans un confessionnal. Il y en a des plus troublantes encore, mais, celles-là, je les réserve pour ma rencontre avec Parminou.
En attendant cette réunion, j'erre dans le Carré des morts où je constate que si tous les morts ne sont pas des lumières, celle de Jean Chrétien brille encore moins fort que les autres. Le Gardien de l'attente lui a confié comme devoir, avant son audition personnelle avec Parminou, d'écrire des phrases intelligentes. La barrière est élevée, mais comme il est très doué, il a pondu un texte pour avertir les parents de ne pas laisser leurs enfants jouer avec des armes nucléaires dans leurs sous-sols. Il en a fait une autre où il suggère aux Montréalais, qui prennent le métro, de ne pas jeter leurs bungalows dans les poubelles. Enfin, il conseille aux passagers des autobus de la métropole de ne pas transporter leur frigidaire avec leur divan, aux heures de pointe. J'ignore s'il va s'en sortir, mais il a des scandales des commandites et des balles de golf à manger.
Dans ce même carré, le Gardien a demandé à Pierre-Elliot Trudeau de manger des hot-dogs en compagnie de Robert Bourassa, pendant que Claude Ryan, qui sert de cuisinier, doit réciter les litanies triomphantes de l'échec du fédéralisme canadien.
Et moi, humble plume, maintenant invisible, je dois écouter les conversations de mes amis sur leurs téléphones cellulaires. Robert affirme : « Ce Céréale Pique-Cerise, quel téteux ! Quel mauvais garçon ! Quel mécréant ! Que de céréales n'a-t-il pas fait éclater ! Enfin, nous voilà débarrassés de sa présence ! Il n'était pas trop tôt !
Pourtant, je comptais ce Robert comme mon meilleur ami. Celui qui jamais ne m'aurait trahi. J'ai pris un coup de mort ! et je me suis dit : « Céréale, tu n'es plus que poussière ! Qu'est-ce que ça peut bien foutre si tous les gens se crissent de toi ! »
Soudain, comme pour me remonter le moral, j'entendis la voix rieuse et souriante de la fine Céline : « Ce Céréale Pique-Cerise, quel salaud ! Comme je le détestais ! Il faisait tout pour déplaire aux femmes : il les détroussait, les retroussait, déchirait leurs brassières tellement il était animal. J'ai gardé de lui un très mauvais souvenir : il m'a violé dans l'église paroissiale avec le curé comme aidant-naturel pendant que l'évêque, toutes culottes baissées, dégustait comme un bonbon la queue d'un enfant de chœur assis sur un banc et que le bedeau posait une affiche sur la porte de l'église prévenant les dames mariées de recevoir la visite paroissiale du curé seulement les jours où leurs maris seraient absents. Puis elle ajouta, d'une voix sensuelle : Ce Céréale Pique-Cerise, quel trou de cul ! »
Et une grande force invisible m'aspira...

Denis Rheault
Montréal, mars 2015

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